À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un missionnaire et quelques Amérindiens voyagent en raquettes un soir d’hiver sur la rive sud du Saint-Laurent. Une vive lueur dans la forêt les amène à trouver un jeune officier, près de son père mort depuis peu, et du cadavre d’un soldat qui les accompagnait. Amené au chaud chez un habitant, il leur racontera leurs mésaventures, l’attaque d’un féroce Iroquois, les blessures, la faim et le froid puis, miracle, la Vierge elle-même apparue avec le Divin Enfant et une cohorte d’anges, au cœur d’un globe de lumière. Sur la promesse faite à son père mourant, il ornera l’église de Rivière-Ouelle d’un ex-voto, un tableau représentant l’épisode.
Commentaires
Le style de l’abbé Casgrain est orné et fleuri. Davantage : il croule sous les gerbes et les guirlandes. Par exemple, trois longs paragraphes décrivent une aurore boréale, et « sur l’azur foncé du ciel, d’innombrables étoiles versent en larmes d’argent leur fraîche lumière. On dirait les pleurs d’allégresse que l’éclat du Soleil de Justice arrache aux yeux éblouis des bienheureux ». Quant aux missionnaires, « cloués sur le Golgotha pendant les jours de leur sanglant pèlerinage, ils brillent aujourd’hui transfigurés sur un nouveau Thabor et l’éclat qui jaillit de leur face éclaire le présent et se projette jusque dans l’avenir ». Devant ce conte, on a l’impression de s’asseoir dans l’une de ces grandes églises néo-gothiques où l’œil n’a jamais de repos : dorures, voûtes azurées, petites étoiles et nuées bibliques, toute une statuaire d’anges et de saints derrière un glacis de lampions.
La structure du conte est emboîtée, comme elle l’est généralement dans le corpus qui nous intéresse ici. Mais chez Casgrain, il n’y a pas de vieux conteur truculent dans une soirée de bamboche. Voici plutôt un solennel ecclésiastique dont on imagine la voix ronde et onctueuse, pontifiante, commentant un tableau pieux suspendu au mur d’une chapelle (c’est en effet cette forme que prend l’ouverture – d’où le titre nouveau utilisé plus tard).
Les digressions occupent en moyenne deux pages sur trois. Ce sont, soit d’interminables descriptions du pays, lyriques et ferventes, soit de longs commentaires sur la vie simple et saine de la famille canadienne. Quant au jeune officier rescapé, dont le récit occupe bien la moitié du conte, sa narration à lui est émaillée de citations du Nouveau Testament ou de l’Imitation de Jésus-Christ. Comme souvent à cette époque chez les idéologues conservateurs du Québec, le XVIIIe siècle est présenté comme une sorte d’âge d’or canadien. Mythifié, il témoigne quelquefois d’un manque de connaissances (comme on l’a vu par exemple chez Paul Stevens, dans « Télesphore le Bostonnais ») : mettre en scène des Iroquois aussi loin au nord-est que Rivière-Ouelle relève d’une ignorance assez sérieuse.
La narration de Casgrain est interpellative : « Voyez-vous là-bas, sur le versant de ce coteau, cette jolie maison qui se dessine… » Le lecteur est spectateur ou visiteur, l’écrivain joue le guide dans un diorama riche en détail mais pauvre en action.
Pour ce qui est du fantastique : sept lignes sur les cinq cents premières lignes, et ensuite une page dans le récit du rescapé. Il s’agit ici d’un fantastique religieux assez typique du XIXe siècle québécois – ou, plus précisément, un surnaturel religieux – reposant non sur le doute mais au contraire sur la conviction, celle de la foi ; non sur l’horreur ou l’épouvante mais sur l’émerveillement et l’exaltation pieuse.
Il faudrait pouvoir étudier la réception de ce genre de texte voilà cent quarante ans. Y a-t-il fantastique lorsque le récit est cru ? Lorsqu’il est destiné à être cru ? Y a-t-il fantastique lorsque les éléments surnaturels sont de l’ordre, sinon de l’expérience, au moins de la foi, plutôt que de l’imaginaire ? (Le miracle, en effet, était un phénomène auquel on croyait, quand on n’en avait pas été soi-même témoin ou bénéficiaire.) J’avancerais qu’il y a fantastique seulement s’il y a d’abord rationalisme, voire scepticisme, pour qu’ensuite on invite la fiction fantastique à provoquer ou à défier ce scepticisme, avec les charmes de l’insolite, du mystère, de l’angoisse ou de l’épouvante. [DS]
- Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 47-48.