À propos de cette édition

Éditeur
La Presse
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
La Presse, vol. IX, n˚ 4
Pagination
4
Lieu
Montréal
Date de parution
05 novembre 1892

Résumé/Sommaire

Alors qu’ils sont quelques amis à assister au Congrès international de psychologie expérimentale à Londres et qu’ils devisent sur des phénomènes comme l’hypnotisme, la double vue et la télépathie, un missionnaire raconte l’expérience qu’il a vécue. Il voyageait de nuit en carriole vers Maniwaki quand il a vu, dans un état de somnolence proche du sommeil, une maison étrange avec, à la fenêtre, une femme qui caressait un chat gris. Or, trois heures plus tard, au jour levant, la vision de la nuit se montrait pour de bon au missionnaire ébahi. Lorsqu’on lui demande s’il a pu mettre en relation avec d’autres événements ce fait étrange, le missionnaire assure que non, ce qui n’en confère que plus de mystère à cette vision du futur sans signification.

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Commentaires

Fréchette est vraiment un auteur surprenant à plus d’un égard. Dans « Une vision », le voici qui rythme de nouveau son texte selon sa sempiternelle structure narrative : présentation du sujet, introduction d’un personnage dont le lecteur ne pourra mettre en doute la parole, narration minutieuse de l’événement surréel et, bien entendu, conclusion en forme de constatation de l’évidence du fantastique. À croire qu’il s’agit d’une recette, il n’y a qu’un pas. Et pourtant…

Cette fois, le fait présenté est d’une telle banalité qu’il en perd toute importance et laisse la place entière à sa véritable signification. De fait, le narrateur lance, après avoir terminé son récit : « Ainsi, messieurs, […] mon rêve avait non seulement franchi par anticipation une distance d’au moins six lieues, mais encore était allé au-devant d’un événement futur – si le mot événement n’est pas trop ambitieux pour désigner un fait aussi vulgaire. »

Et voyez l’habileté du conteur qui, dès le début, a longuement disserté sur les développements de la science qui replace dans une nouvelle perspective les faits que l’on croyait jusqu’alors surnaturels, voyez la subtilité de sa mise en place alors que la discussion a lieu pendant un congrès de « psychologie expérimentale » – rappelons-nous que le narrateur est un prêtre ! – et, surtout, voyez ce final qui ouvre carrément sur l’inconnu – un demi-siècle plus tard, aux États-Unis, on parlera de sense of wonder ! – en citant Bodisco, un savant russe d’alors qui prétendait que « les faits, les abstractions même, ont comme les individus, des corps astrals dont l’existence perpétuellement instantanée serait indépendante du cours du temps, et pourrait, à un moment donné et dans des conditions spéciales, entrer en relation avec les âmes ».

Alors, qu’est ce texte ? Du fantastique ou de la science-fiction ? Mais peu importe sa classification – pour ma part, j’opterais pour le genre qui gagnera ses lettres de noblesse au siècle suivant –, ce qui frappe à la lecture de ce texte, c’est de voir qu’il est contemporain des écrits d’un certain Camille Flammarion, célèbre astronome français, et de ceux d’un autre écrivain encore plus célèbre, Arthur Conan Doyle. Or, ces deux hommes ont consacré une très grande partie de leur vie active à étudier « scientifiquement » ces phénomènes inexpliqués qu’étaient alors – ils le sont toujours d’ailleurs, un siècle plus tard ! – la métempsychose, le spiritisme, la télépathie, le voyage astral, etc.

Je ne sais comment a été reçu ce texte de Fréchette à l’époque ; je sais cependant que, un siècle plus tard, il surprend encore par la hardiesse des concepts présentés à la toute fin. C’est peut-être pourquoi l’auteur a terminé « Une vision » sur ces reparties :

« — C’est hardi ! fit le missionnaire.

— Dame… » [JPw]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 92-93.