À propos de cette édition

Éditeur
Guérin
Titre et numéro de la collection
Roman
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Pagination
251
Lieu
Montréal
Année de parution
1988
ISBN
2760122875
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Pierre Salvat est un écrivain reconnu, créateur de Laragne, l’original détective vieux garçon qui habite chez sa mère. Ce personnage, Salvat l’a imaginé à partir d’une rencontre dans le métro dont il n’a connu le nom que récemment, alors qu’il reconnaissait sa photo dans la notice nécro­logique : Louis Leconte. Mais depuis quelque temps, un autre personnage accapare notre auteur, Agnès. Elle le hante tellement qu’elle le mène au divorce et à une réclusion plus que monacale.

C’est alors que la fille de Leconte, Ariane, l’appelle. Elle lui dit que son père lui a légué quelque chose. La rencontre a lieu. Leconte faisait dans le "beau livre", Salvat s’émerveille de son travail, surtout d’une édition des Fables de La Fontaine, illustrée magnifiquement par un certain Corrigan, peintre animalier pour le moins mystérieux. La jeune fille narre la triste fin de son père qui s’est éteint lentement, inexplicablement, comme consumé, puis lui remet quelques feuillets où s’entassent pêle-mêle plusieurs citations, et un portrait de Leconte – de Laragne. Mais quel portrait ! Saisissant. Et ces yeux… Un Corrigan, bien sûr. Lors d’une autre rencontre, Ariane lui montre une autre toile de Corrigan – une femme d’une beauté divine aux yeux vairons, bleu et vert – que son père tenait sous clé mais qui appartient toujours au peintre. À sa vue, Salvat chancelle : Agnès, c’est Agnès ! Aussitôt, il s’offre pour aller porter l’œuvre au peintre qui demeure sur une île éloigné près des côtes de Terre-Neuve.

Après un voyage mouvementé, Salvat aborde l’île pour y trouver un petit village reculé, un phare et le manoir des Corrigan. Là, il connaîtra le maître de la place, mais aussi sa demi-sœur Alexandra et ses deux enfants encore vivants, Kevin, un garçon infirme homosexuel et, oui, Agnès, "son" Agnès, la dernière descendante de la famille, la créatrice de ces fameux portraits.

Mais un mystère plane sur la riche famille Corrigan – descendante de flibustiers et de naufrageurs – et, rapidement, Pierre est confronté à l’incroyable. Entre autres ces rumeurs qui veulent qu’Agnès ait le mauvais œil. Des animaux morts après qu’elles les aient eu regardés, Adèle, sa sœur jumelle qui ne se distinguait que par la couleur inversée de ses yeux, morte elle aussi de manière étrange, etc. Ralph, un torontois qui passe ses vacances dans ce coin perdu, éclaire un peu la lanterne de Salvat, mais si peu. Agnès elle-même semble bien fataliste sur ses dons de peintre…

Commentaires

À chaque année son point d’orgue, ai-je appris depuis les cinq années que je fais de la critique pour L’ASFFQ. Il y a tout d’abord eu en 1984 Les Demoiselles de Numidie, de Marie José Thériault, un grand roman fantastique dans la tradition classique du genre, puis, en 1985, L’Amateur d’art, un excellent recueil de nouvelles fantastiques de Carmen Marois. La science-fiction devait revenir en force en 1986 avec Le Monument du désert libyque, de Claude D’Astous, roman à la fois initiatique et religieux, scientifique et libertaire, et qui ne sacrifiait pourtant pas l’humour. Enfin, l’an dernier, j’ai eu le plaisir de parler de La Fée calcinée, de Daniel Gagnon, un des plus bels odes à la Mort jamais composé, d’une profondeur et d’une force admirable. Au sujet de ces quatre titres, il est intéressant de noter que deux d’entre eux, L’Amateur d’art et Le Monument du désert libyque, étaient la première publication professionnelle de leurs auteurs.

À ce qui précède, vous aurez deviné que mon point d’orgue pour l’année 1988 n’est nul autre que La Vaironne, première publication d’Évelyne Bernard, gagnante du prix Guérin Littérature. À son sujet, il est intéressant de noter quelques remarques faites par le jury et qui ornent la quatrième de couverture. Gilles Archambault parle de « Roman policier qui permet de découvrir un auteur hanté par un personnage », Suzanne Paradis des « Impressions d’une époque lointaine. Ce climat de mystère et de menace conserve un arrière-plan de lumière, une limpidité qui tien à la narration, au choix des mots, des lieux… » et Réginald Hamel ajoute que « L’écriture très professionnelle de ce roman nous convie à une enquête aux rebondissements aussi surprenants que fantastiques ».

Aux propos qui précèdent, ajoutons que si l’élément fantastique n’apparaît véritablement qu’à la toute fin du roman, il le sous-tend de la première page à la dernière, enlevant tout doute à ceux qui, comme nous, sont obligés de catégoriser les œuvres.

La Vaironne se divise en deux parties bien distinctes. La première présente le personnage principal, pose son passé et son environnement immédiat, ses problèmes et ses solutions, tout en introduisant plusieurs personnages secondaires qui ne reviendront pas dans la seconde partie. En fait, si on parle en termes de fantastique, la première partie parle du réel, des trivialités quotidiennes de la vie – organisation ménagère après un divorce, les amis, le travail, etc. –, de Montréal, de ses environs et des interrogations normales d’un homme intelligent en proie à son époque. Avec en plus, en filigrane, mais un filigrane fort discernable dès les premières pages, l’élément qui fera basculer toute cette réalité.

Si la première partie est une lente montée vers l’imaginaire, la deuxième, elle, y verse complètement. Après la découverte du portrait de l’Agnès obsessionnelle de Salvat, c’est le départ vers… l’Ailleurs, l’autre versant de la réalité, l’autre côté du miroir – ce symbolisme sera d’ailleurs repris dans le dénouement final, et de belle manière, avec le reflet d’Agnès demeurant au creux du miroir, accaparant toute l’énergie maléfique de la véritable Agnès, l’amenant inexorablement à la mort. Un voyage en avion volontairement écourté, puis le lecteur est confronté à cet autre monde, hautement impressionnant : Terre-Neuve et ses vents, sa pluie, son froid, Terre-Neuve et sa lande déserte, dénudée, ses personnages d’une autre époque, comme ce capitaine gargantuesque, Toby Riddle, qui mangent comme huit malgré ses deux seuls crocs, comme Corrigan père, raide comme un piquet, tyrannique dans ses comportements, cheveux blancs et redingote d’époque.

Mais la force de l’auteure réside dans sa puissance d’évocation, dans les atmosphères et les images qu’elle suscite tout au long de son roman. Des images d’abord qui, pour les personnages, font penser immanquablement à ceux de Jean-Paul Lemieux, perdus face à la solitude des vastes horizons, ou encore, pour ces landes désertes et ces impressions d’une autre époque, d’un monde encore pris dans la glu du rêve, aux illustrations de Fred, habilement frustres, où tout s’entremêle, vent/lande/personnages pour ne plus faire qu’une entité, indissociable, comme si ces gens, perdus au fin fond d’une petite île sans nom, s’ils étaient déracinés, ne pourraient que s’estomper et disparaître à tout jamais, comme s’ils n’avaient jamais existé.

Associés à ces images, le style de l’auteure achève de convaincre le lecteur, avec ses relents de Jean Ray pour la précision des détails et la simplicité habile des présentations de personnages, eux-mêmes presque échappés d’une nouvelle inconnue du grand auteur belge. Simplicité et précision, donc, dans le mot, la phrase, mais aussi lyrisme, et on se rappelle, lorsque Salvat se rend sur le bateau de Riddle à l’île de Corrigan, quelques pages de Jünger, dans Visite à Godenholm, où là aussi, on assistait à une traversée mémorable, à un voyage initiatique vers cette île où Schwarzenberg, le sage magicien, devait leur donner LA réponse. Le parallèle, ici, est frappant, avec Salvat qui se dirige vers cette île dont il ne connaît rien sinon qu’elle abrite un peintre animalier d’un grand talent mais que personne n’a jamais vu, mais qui a fait ce portrait d’Agnès, cette femme/personnage qui le hante depuis si longtemps. Lui aussi monte vers la Connaissance, lui aussi est en quête du Savoir et, en même temps, de la délivrance, lui aussi trouvera une réponse, différente de celle qu’il attendait, mais la vérité n’est jamais ce à quoi on s’attend, n’est-ce pas ?

Malgré tout ce qui précède, La Vaironne demeure un livre perfectible. Son principal défaut réside dans cette coupure dramatique entre ses deux parties. Des personnages secondaires, mais combien importants, sont évacués de façon bien cavalière – je pense à Ariane, à Marie Morency, l’amante de Leconte – laissant un goût amer dans la bouche du lecteur. Pourquoi tant investir sur ces personnages s’il faut les balancer à mi-chemin ?

Abordé par le biais de la logique interne, on pourrait dire que La Vaironne souffre d’un manque évident, celui d’un épilogue qui aurait permis de réunir définitivement, dans un juste retour du personnage principal vers le réel, les deux parties du livre, fermant définitivement la boucle historique en nouant les derniers fils pendants de la trame, en mon­trant le nouveau palier de conscience atteint par le personnage principal.

Enfin, s’il faut parler de ce livre comme d’un roman policier, il eut été intéressant d’accorder plus d’attention au suspense et à la décortication des indices. Trop souvent, les résolutions manquent de rigueur, comme si le destin, plus que l’intelligence, permettait l’avancement de l’intrigue – constatation qui, faut-il le dire, dénote encore plus la véritable essence fantastique de ce roman.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce livre mais l’endroit n’est pas indiqué pour une analyse plus exhaustive. Gageons que cette dernière, de toute façon, sera faite lors d’un jour plus ou moins rapproché dans une de nos universités. Évelyne Bernard a frappé fort avec son premier roman. Souhaitons qu’elle ne soit pas de la lignée des armes à un seul coup ! [JPw]

  • Source : L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 32-35.

Prix et mentions

Grand Prix littéraire Guérin 1988

Grand Prix Logidisque de la science-fiction et du fantastique québécois 1989 (catégorie livre)

Références

  • ––––––––––––––, La Presse, 11-11-1988, p. B16.
  • Archaw, Mike, Solaris 86, p. 22.
  • Janelle, Claude, Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec VIII, p. 935-936.
  • Meynard, Yves, Samizdat 16, p. 42-43.