À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
À l’auberge du village, un étranger, Pierre Prémont, raconte aux buveurs attablés l’expérience qu’il a vécue dans la région vingt ans plus tôt. En quête de solitude et de tranquillité, il s’était rendu jusqu’au bout du chemin des bûcherons, puis avait pénétré dans une forêt embrumée. Après plusieurs heures de marche, il avait rejoint une femme mystérieuse et, sous le charme, l’avait suivie jusque chez elle dans une vallée paradisiaque. La découverte d’une statue de pierre d’une divinité amérindienne l’avait toutefois troublé et après avoir résisté à l’appel de la femme au fond de l’eau, il s’était enfui, effrayé. Son récit terminé, Prémont sort de l’auberge, irrésistiblement attiré par les eaux de la rivière qui coule à proximité.
Commentaires
Ce texte s’inscrit d’emblée dans la tradition du conte fantastique québécois. Dès l’amorce, l’auteur évoque le Diable, la bête à grand’queue et le jeteur de sorts afin de prédisposer le lecteur à l’histoire de Pierre Prémont. Le fait que la femme soit une Indienne ajoute à la richesse du récit en soulignant à quel point la nature a favorisé la rencontre des cultures québécoise et amérindienne. Il faut également saluer l’heureuse initiative d’avoir situé le récit dans la région de Charlevoix, reconnue pour la richesse de sa tradition orale et premier « terrain de cueillette » de l’ethnologue Marius Barbeau au Québec, il y a un siècle.
Richard Viens livre un beau texte chargé d’atmosphère qui comporte des descriptions sensibles de la nature. On sent le métier dans cette écriture, ce qui ne surprend pas maintenant qu’on sait qu’il s’agit en fait de Claude Bolduc. Ce qui surprend, par contre, c’est cette filiation littéraire revendiquée car Bolduc fait rarement écho au répertoire de contes du XIXe siècle. De plus, il n’hésite pas à marier humour et fantastique dans ses nouvelles généralement urbaines et contemporaines. Or le ton, ici, demeure grave sans être compassé et fait preuve d’une remarquable retenue, ce qui sied admirablement à ce récit qui, au fond, est une histoire d’amour hors de l’ordinaire, presque mythique. Quelques artefacts amérindiens judicieusement évoqués suffisent à faire comprendre le drame de la disparition du peuple de la femme.
On peut s’interroger sur quelques choix narratifs de l’auteur. Ainsi, pourquoi avoir fait de Prémont un vieillard ridé aux cheveux blancs alors qu’il est à peine au début de la quarantaine ? Ce vieillissement prématuré serait dû au doute – il se demande s’il a vraiment vécu cette expérience – qui le ronge depuis tout ce temps et peut-être même aux regrets d’être resté sourd à l’invitation de cette créature mi-humaine mi-animale elle-même sous l’influence d’une déité amérindienne maléfique. Mais était-ce bien nécessaire ? L’auteur a sans doute voulu souligner le caractère tragique de l’existence de Prémont.
Par ailleurs, le dénouement de l’histoire répond à la logique du récit mais sa mise en scène laisse un peu songeur. L’Indienne vient relancer Pierre Prémont, vingt ans plus tard, en empruntant la rivière qui coule aux abords de l’auberge. C’est comme si l’auteur, ce faisant, avait voulu s’assurer que des témoins – en l’occurrence, les buveurs réunis autour de l’étranger – attestent la réalité de l’aventure vécue autrefois par le protagoniste. Il est vrai que l’Indienne semble en osmose avec la nature qui participe pleinement de l’envoûtement et cela, quel que soit le lieu où se trouve la femme, ce qui dévalue grandement a posteriori le caractère ensorcelé du territoire suggéré minutieusement par l’auteur – forêt enveloppée de brume, temps suspendu, vallée radieuse mais étrangement silencieuse – dans lequel s’était enfoncé Prémont et place le titre en porte-à-faux – la vallée est bien loin du lieu de résolution du récit.
Au-delà de ces réflexions « sémantiques », « La Vallée qui n’oublie pas » est un texte qui suscite continuellement l’intérêt du lecteur et qui offre une autre facette du talent de conteur de Claude Bolduc. Une belle réussite ! [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 193-194.