À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un chef indien raconte à une Française que la possession d’une vertèbre du serpent de mer a rendu son aïeul invincible. Celui-ci, au moment de mourir, faute de descendants mâles, aurait légué ce talisman à Napoléon Bonaparte, ce qui expliquerait l’évasion de l’île d’Elbe et l’entrée triomphale à Paris du Petit Corse. Et sa défaite à Waterloo serait due au fait qu’il a perdu la fameuse vertèbre la veille de la bataille contre les Anglais.
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L’entreprise littéraire de Louise Darios est sans doute remplie de sincérité. Elle a voulu donner une forme littéraire aux légendes qu’elle a recueillies au cours de ses voyages. « La Vertèbre du serpent de mer » provient de la culture amérindienne très riche de la Colombie-Britannique qui a davantage été préservée que la culture des Amérindiens de l’Est du Canada.
Il y a chez Louise Darios une recherche d’authenticité indéniable, mais l’impression demeure que son enquête manque de profondeur, un peu comme les touristes qui ne peuvent qu’effleurer la culture du pays qu’ils visitent. Il est d’ailleurs ironique de relever que le texte s’ouvre sur une scène d’un guide touristique qui débite des banalités sur la Colombie-Britannique.
Plus troublante, cependant, est cette vision foncièrement eurocentriste qui se dégage du conte de Darios. Il y a d’abord cette présence d’une Française (vraisemblablement une ethnologue) qui recueille le récit du chef indien mais, surtout, l’évocation surprenante de Napoléon Bonaparte dans le contexte d’une légende amérindienne de la Côte du Pacifique. La légende est peut-être authentique, mais on est en droit de douter que les Amérindiens aient connu les campagnes napoléoniennes en Europe au début du XIXe siècle. On ne parle pas ici d’une simple allusion : la légende prétend expliquer les raisons de la défaite de Waterloo.
Même en passant outre l’argument central, le lecteur n’est pas au bout de ses peines. Il ressentira une frustration croissante devant la multiplication d’affirmations et de pistes qui mériteraient d’être développées. Ainsi, on apprend que les Blancs appellent « Les Lions de Vancouver » les deux montagnes qui surplombent la ville alors que dans la mythologie amérindienne, elles représentent deux sœurs jumelles. Là s’arrête l’énoncé, l’auteure étant déjà ailleurs.
La même chose se produit quand le récit évoque la maladie des Visages Pâles qui serait à l’origine de la transformation d’un des Indiens de la tribu du chef en un monstrueux serpent de mer. Et quelle est cette maladie ? L’avarice. Pourtant le propos ne comporte aucune visée morale dénonçant cette tare et il n’est jamais fait mention d’un événement illustrant ce travers.
L’aspect le plus intéressant du conte de Darios réside dans cette opposition de deux modes de pensée : la rationalité de la Femme Blanche et la prépondérance de la mythologie amérindienne. Finalement, l’auteure se demande en quoi les légendes qui servent aux Amérindiens à expliquer le monde sont-elles différentes des croyances ou mystères chrétiens. « J’attendais ce mot [légende], réplique le Chef Indien […] ; il exprime pour les Blancs ce en quoi leur sagesse leur défend de croire. » Mais aux côtés de paroles aussi pénétrantes et inspirées, il y a dans les dialogues des partis pris qui irritent (ce français « petit nègre » du géant russe qui rencontre le chef indien) et des expressions incompréhensibles (« Tè, il faudrait que j’apprenne la géographie »).
Heureusement, la chute est réussie ! Darios oppose suavement à la vertèbre du serpent de mer un autre os qui a eu une importance capitale dans le développement de la race humaine et qui fait aussi appel à sa façon à une croyance : la côte d’Adam. [CJ]
- Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 63-65.