À propos de cette édition

Éditeur
L'Hexagone
Titre et numéro de la collection
Fictions
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
169
Lieu
Montréal
Année de parution
1993

Résumé/Sommaire

Bien qu’ils soient bessons, Jumeau et Javel sont bien différents l’un de l’autre. Cette différence se manifeste d’ailleurs dès les premiers mois de leur vie, dans l’utérus de leur mère : Javel se révèle déjà très cérébral (il passe son temps à réfléchir, à analyser tout ce qui se produit) alors que Jumeau est gouverné exclusivement par l’instinct. Après leur naissance quelque peu mouvementée, le contraste entre eux se trouve accentué par le fait que Jumeau grandit rapidement et prend des forces tandis que Javel demeure petit et malingre. Ils sortent très peu de leur logement de l’immeuble qui penche, plus enclins à rester avec leurs parents et à rendre visite à Madame Zoo, une dame très solitaire qui habite le même immeuble.

Ils ont une dizaine d’années lorsqu’un mal très étrange frappe leurs parents de même que la majorité de la population de la ville. Cette affection, la maladie des neurones qui s’essoufflent, fait que les gens qui en sont atteints s’absentent lentement d’eux-mêmes, deviennent insensibles aux autres, semblent guidés dans leur vie par une totale adhésion à un sentiment du destin qui doit les diriger. La seule façon d’en guérir est de changer de vie, de comportements, d’habitudes, de changer sa routine. Malheureusement, comme les malades croient à l’inexorabilité du destin, peu d’entre eux guérissent. Les parents de Jumeau et de Javel finissent par en mourir.

Désormais seuls dans la vie, tout comme Madame Zoo, les deux frères de treize ans se soutiennent mutuellement et cherchent, chacun à sa façon, un sens à cette existence qui se termine souvent de façon absurde. Plus le temps passe, plus c’est Jumeau, le simple d’esprit, qui compose le mieux avec la vie. Javel, lui, n’arrive pas à être heureux et en vient à la conclusion qu’il vaut mieux mourir. Sans le vouloir, il entraînera son frère dans sa chute.

Commentaires

Comme le résumé que nous venons d’en faire le laisse deviner, ce roman de Louis Jacob est d’une grande densité. Il y est question du sens de la vie, du repli sur soi, de l’absence aux autres, de la différence, de la solitude. Lourd, direz-vous ? Pas autant qu’on pourrait le croire. Le fait que le rôle du narrateur soit confié à Javel donne en effet au texte un côté tragicomique : les gens autour de Javel lui parlent comme à un enfant et le traitent comme tel, tandis que ce dernier, doté d’une faculté de raisonnement exceptionnelle qui le fait vieillir très rapidement, pose sur eux et sur leurs comportements un regard critique d’adulte. Cette particularité du personnage, loin de desservir le roman, permet d’aborder avec humour des sujets difficiles. Car rien n’est rose dans le récit de Louis Jacob, la réalité n’est pas édulcorée, on ne s’y fait aucune illusion.

Javel et Jumeau transportent avec eux un mal de vivre, ils se sentent « penchés », différents par rapport aux gens de leur âge ; la solitude est généralisée, les gens restent cloîtrés chez eux, sans se préoccuper du sort des autres, et mènent une vie médiocre qui les laisse insatisfaits ; l’immobilisme social est navrant. Ce qui se passe avec la maladie des neurones qui s’essoufflent l’illustre bien : Javel voudrait agir pour enrayer l’épidémie, mais il est seul à vouloir le faire, il se fait même répondre par le docteur qu’« il faut attendre qu’elle s’éteigne d’elle-même ». Peut-on voir dans cette histoire une métaphore de la société québécoise et, plus généralement, des sociétés industrialisées du XXe siècle ? Nous sommes tentée de le croire.

Le message véhiculé par le roman n’est cependant pas défaitiste. La situation est alarmante, certes, mais elle n’est pas sans espoir. La maladie des neurones qui s’essoufflent se guérit, il est possible de s’en sortir. D’ailleurs, l’épidémie finit par être enrayée dans le récit. La clé : l’ouverture aux autres. Cette idée est très importante dans La Vie qui penche. Quand on est deux, on penche moins, on se soutient. Bien sûr, cela ne résout pas tout : Javel meurt à la fin du roman, en tombant (en se jetant ?) du haut de son immeuble. Mais si Jumeau n’avait pas été là pour lui, il serait sans doute mort bien avant. De même, si Javel n’avait pas soutenu Jumeau durant les premières années de sa vie, ce dernier aurait sombré dans le désespoir. Leur existence à tous deux aurait été encore plus difficile s’ils n’avaient pas été là l’un pour l’autre.

Le récit de Louis Jacob envoie aussi le message qu’il faut être capable de se laisser porter par la vie. Ce n’est pas d’avoir réponse à tout, de tout comprendre, qui apporte le bonheur, ce ne sont pas les gens les plus intelligents qui sont les plus heureux. Jumeau, le simple d’esprit, s’adapte beaucoup mieux que Javel à la vie, aux différentes situations, aux coups durs. C’est lui qui aide Javel quand leurs parents meurent, c’est lui qui a les paroles les plus sages par rapport à l’existence, c’est le seul des deux qui arrive à être heureux. Finalement, ce que Louis Jacob met en scène, ce sont ces paroles dictées par la sagesse populaire :

Les batailles de la vie ne sont pas gagnées

Par les plus forts ou les plus intelligents

Mais par ceux qui croient en eux

Et pensent toujours : « Je peux ».

C’est donc dire que tout n’est pas noir dans La Vie qui penche. Les côtés sombres de l’existence n’y sont pas atténués, mais, comme dans la vie, il y a toujours une lueur d’espoir.

Ce roman de Louis Jacob constitue donc une belle surprise de l’année 1993. Profond, intelligent, drôle et tragique à la fois… Ce qui ajoute encore au plaisir de la lecture, c’est le fait qu’il soit écrit par un auteur à l’imagination débordante, en pleine possession de ses moyens, qui sait manier la plume et les mots pour créer les atmosphères les plus diverses. Précisons toutefois que cette œuvre n’arrivera sans doute pas à rejoindre les amateurs de fantastique pur, car en dehors de quelques éléments qui lui confèrent une irréalité qui la fait basculer dans le fantastique – comme la maladie des neurones qui s’essoufflent qui paralyse la ville pendant trois ans –, le cadre en demeure réaliste. Qu’on ne se méprenne pas, cependant : il ne s’agit pas là d’une réserve, mais d’une simple mise en garde. [SN]

  • Source : L'ASFFQ 1993, Alire, p. 100-102.

Références

  • Allard, Jacques, Le Devoir, 18/19-09-1993, p. D5.
  • Crevier, Gilles, Le Journal de Montréal, 11-09-1993, cahier Week-end, p. 11. 
  • Janelle, Claude, Lettres québécoises 72, p. 27-28.
  • Mailhot, Jacques, Lectures, vol. 1, n˚ 2, p. 13.
  • Martel, Réginald, La Presse, 29-08-1993, p. B 6.
  • Vachon, Julie, Québec français 92, p. 18.