À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Lui offrant du brandy, le narrateur convainc l’Huron Ohiarekouen de lui raconter la légende du Grand Serpent. Réticent, l’Amérindien se laisse persuader. Une nuit, un jeune insolent, Otsitsot, surnommé le Carcajou, fut témoin de l’arrivée d’un monstrueux serpent aux yeux brillants qui avançait en brisant les arbres ; il portait une crête d’où jaillissaient des étincelles. Un dialogue s’amorça et le serpent, le “petit manitou”, se transforma en chétif vieillard pour ne plus terroriser Otsitsot. Il lui promit richesse, prestance et eau-de-vie, un mariage avantageux et la neutralisation d’un prêtre encombrant. En échange, il lui demanda d’abjurer sa foi chrétienne, le menaçant de se venger sur lui et les siens si, par la suite, il revenait à la religion.
Otsitsot accepta, quitta son village pour y revenir riche et y donner des festins. Il tomba malade après quelques années, et le médecin appelé à son chevet lui annonça sa mort proche. Le renégat voulut alors faire appeler un prêtre, mais celui-ci était absent, éloigné par une ruse du petit manitou, et Otsitsot mourut.
Commentaires
La position du narrateur est ambiguë : à son personnage amérindien, le conteur Ohiarekouen, il attribue aussi bien noblesse qu’hypocrisie, perspicacité que penchant pour l’alcool. L’auteur donne des poses nobles et tragiques à son Huron. Malgré cela, et malgré les larmes versées sur le destin tragique des Amérindiens, les actes du narrateur traduisent le mépris et le cynisme : il offre de l’alcool au Huron pour lui extorquer la légende du Grand Serpent. Avec les anecdotes infrapaginales, qui viennent brouiller le tableau, et avec l’ironie de certaines phrases, il devient difficile de démêler l’idéologie réelle de Philippe Aubert de Gaspé, et l’attitude qu’il donne à son narrateur. Ce narrateur, est-ce lui, fidèlement ? Ou est-ce en partie un personnage, un rôle de composition ?
Le message de la légende, lui, paraît plus clair : l’Amérindien doit renoncer à l’autonomie, la dignité et la prospérité offertes par le petit manitou (les valeurs et croyances ancestrales), au profit de la foi chrétienne qui proposerait, elle, paix et sérénité (et soumission, est-on tenté de lire). Mais il y a mauvaise foi de la part du Blanc dans la transcription de cette légende : l’alcool (appelé eau-de-feu) y est offert par le petit manitou (le serpent, tentateur comme il se doit) alors qu’historiquement, ce sont les chrétiens qui ont apporté l’alcool aux Amérindiens.
Il faudrait aussi voir si cette légende, rapportée par un Blanc en 1866, est authentique ou apocryphe. Les Hurons avaient-ils été acculturés au point de se représenter la soumission chrétienne comme une vertu, et ce sous le déguisement d’une légende amérindienne ancestrale ? Telle recherche serait un travail d’ethnographie.
Quant à la structure du récit, elle met un moment à se mettre en place : l’introduction est longue et parfois redondante (quand l’auteur redit en d’autres termes les propos d’Ohiarekouen, comme si le lecteur risquait de ne pas comprendre les dialogues). Tout au long du texte, les rasades de brandy promises à Ohiarekouen viennent interrompre le conte et rappeler les positions respectives du narrateur/témoin et du conteur. C’est un procédé que d’autres auteurs ne jugeaient pas nécessaire : le narrateur/témoin était chargé de l’introduction et parfois d’un bref épilogue, le reste de l’espace textuel étant laissé au conteur et à son récit. [DS]
- Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 25-26.