À propos de cette édition

Éditeur
Pierre Tisseyre
Titre et numéro de la collection
Anticipations
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
320
Lieu
Montréal
Année de parution
1987
Support
Papier

Résumé/Sommaire

2043. L’échiquier politique de la Terre a bien changé et risque encore d’être bouleversé. Car une guerre froide domine, et tourne rapidement à la situation explosive. Après la chute de l’Alliance atlantique, la Russie et l’Europe de l’Est se sont alliées à la Communauté européenne, tandis que le reste de l’URSS s’unit à la plupart des pays asiatiques, sous l’égide de Moljoïkan, pour créer l’Union asiate. Lui fait face l’Alliance pacifique, formée de la Chine, du continent nord-américain et de ses satellites. Le Magéria, enfin, englobe la plupart des pays africains.

Cet équilibre politique est cependant instable ; l’Union asiate révèle des ambitions expansionnistes et pour ce faire, utilise une politique surprenante. L’Alliance devra bientôt céder du terrain : les chefs américain et asiate négocieront un nouvel équilibre, durable cette fois. Tout cela en l’espace d’un an.

L’arrivée inopinée de sept extraterrestres en provenance de Chumoï ne sera pas sans incidence sensible – quoique limitée – sur les troubles mondiaux. Leur vaisseau étant en difficulté, ils atterrissent dans le grand nord canadien. Ils seront rapidement séparés : si le gouvernement canadien tente de les protéger, quatre d’entre eux sont capturés par les Asiates. Il leur sera demandé de livrer leurs connaissances scientifiques, puis de devenir des conseillers militaires.

Du côté de l’Alliance, on s’aperçoit que les Chumoïens peuvent difficilement être exploités, vu leur manque de spécialisation dans des domaines divers. On leur propose donc du « grand » tourisme. Ils découvrent ainsi l’homme, tant sur le plan politique que social et affectif, car ils pratiquent l’ouverture sexuelle. Après un an de vie terrienne, les sept extraterrestres parviennent à se retrouver et retournent sur leur planète, accompagnés de deux « ambassadeurs » terriens.

Commentaires

Roman de politique-fiction ou récit d’amour ? Histoire d’extraterrestres ou d’humains ? Les deux premières histoires apparaissent inextricablement liées. Les amours entre les humains et les Chumoïens mettent en relief la précarité politique, et vice versa. Plus qu’une toile de fond pour l’autre histoire, chacun des deux niveaux de récit met en évidence la complexité et la douce absurdité du comportement humain.

Bien plus qu’une histoire d’extraterrestres, il s’agit ici d’une histoire sur cette race bizarre qu’est l’homme. « Le passage des Extraterrestres n’avait pas affecté de façon significative le déroulement de l’histoire de l’humanité. Ils n’avaient joué qu’un rôle marginal dans les événements des derniers mois. On avait réussi à les impliquer dans des activités plus ou moins isolées, mais leur participation aux différents conflits n’avait nullement été déterminante, ils n’avaient apporté ni la guerre ni la paix, ni même un message particulier de solidarité spatiale. Mais s’ils n’avaient fait qu’effleurer la vie de la Terre, Garou, lui, avait profondément marqué le cœur de Maya et l’idée qu’elle se faisait de son destin. » (p. 303-304)

Ainsi, Somcynsky noue l’amour et la guerre pour en faire ressortir, sous le regard des extraterrestres, la profonde “humanitude”. Les Chumoïens sont de véritables témoins – et se présentent comme tels. Un peu comme les Eschatoï de Vrénalik (dans L’Épuisement du soleil d’Esther Rochon), les témoins chumoïens se posent comme des chroniqueurs, des mémorialistes. En effleurant la vie terrienne, ils nous révèlent à nous-mêmes.

Tout d’abord la politique. Le regard chumoïen en est un d’étonnement. Ils ne comprennent pas la précarité des civilisations, la perpétuelle violence. Faisant fi de la réalité politique internationale, les Chumoïens du côté asiate jouent à restituer des frontières désuètes (l’empire de Gengis Khan, par exemple). La politique apparaît comme un immense jeu d’échecs que l’auteur manie fort bien par ailleurs. Il nous présente une extrapolation assez plausible.

Si son tableau s’avère très intéressant, il fait néanmoins perdurer quelques vieux stéréotypes. L’Alliance garde un ton bon enfant et hésite à utiliser ses extraterrestres tandis que l’Union correspond à la représentation occidentale de l’URSS : manipulation des otages, rigidité, dénigrement des “barbares” non asiates, déportation en Sibérie… L’intrigue est beaucoup plus développée du côté américain (et de son satellite canadien) que du côté asiate.

L’auteur pose un œil non dénué de sympathie sur le monde politique, amusé par moments, amer quelquefois. Un œil de pacifiste résigné : Wakasondo, ce Gandhi du XXIe siècle, sera assassiné. Regard réaliste ? Il m’est difficile de croire qu’un conflit d’envergure internationale puisse éclater, puis se résoudre, à l’intérieur d’une année. Le règlement de la guerre est bouclé rapidement. Une impression de détachement se dégage de la description politique ; l’intérêt est délayé par l’importance qu’accorde Somcynsky à l’aspect humain de la rencontre Terre/Chumoï.

En effet, l’auteur délaisse rapidement, dans Les Visiteurs du pôle Nord, le côté “jardin” pour le côté “cœur”. Peut-être reflète-t-il en cela la position des étrangers, venus en touristes. Ouverts sexuellement, les Chumoïens désirent avant tout partager, c’est-à-dire communiquer, donner du plaisir pour mieux en recevoir. Trois couples se forment, exclusivement dans l’Alliance. Des amours gentilles : les Chumoïens ne semblent avoir aucune répulsion face aux humains. Les Terriens n’ont pourtant ni fourrure verte ni mains palmées… Leur approche est directe et la réponse humaine, presque simple.

Pour Francine, Vlakoda est un amant parmi tant d’autres, tandis que pour François, Jinik représente la réalisation d’une union parfaite, sans sentimentalité. C’est le troisième couple qui apparaît le plus intéressant, les personnages ayant plus d’épaisseur psychologique. Maya fera un lent cheminement qui la mènera de la crainte d’une relation amoureuse à un amour qui changera sa vie : elle devient enceinte et suit Garou sur Chumoï. Ce dernier voit lui aussi sa vie changer. Il attrape le microbe terrien : il tombe amoureux. Il apprend l’amour…

Ces êtres qui désirent le partage et sont unis en une seule race sur Chumoï ne connaissent pas ce sentiment. Ils ne possèdent pas non plus un art érotique raffiné : ils ne connaissent pas l’amour buccal. Curieux, pour des êtres dont le plaisir est situé essentiellement dans les muqueuses. Curieuse, aussi, leur ouverture : on ne fait pas l’amour lors des menstruations, et on refuse l’homosexualité. Mais il n’y a pas qu’au niveau sexuel que la description des extraterrestres s’avère contradictoire. Ils sont sept cents millions d’habitants sur Chumoï, et pourtant nos visiteurs n’ont qu’un prénom. Prétendant posséder la même logique que les Terriens, ils ne comprennent cependant pas leur action politique.

Le récit nous offre donc un traitement plutôt boiteux de l’altérité chumoïenne. De fait, ces extraterrestres apparaissent comme des humains “moins”. Ils ne possèdent aucune profondeur psychologique, aucun imaginaire. Leur adaptation trop aisée à la réalité humaine paraît suspecte. Garou ne devient-il pas humain ? Leur désir de partage, leur placidité font irrésistiblement penser au mouvement hippie des années 1960. En les ren-dant humains, Somcynsky brosse une image idéalisée de l’homme en paix avec ses contradictions et avec l’univers. C’est la gentille utopie du « Make Love, not War ». Leur différence par rapport aux Terriens est d’autant plus mince que l’auteur campe des humains à tendance extraterrestre, c’est-à-dire libérés sexuellement et refusant une certaine forme d’engagement affectif. Ici encore, la logique des personnages fait légèrement défaut. François, que Maya traite d’homme “extraterrestre”, part pour Chumoï pour des raisons que le lecteur devine être complexes (et donc anti-chumoïennes). Et c’est Francine qui reste, elle qui pourtant possède le moins d’attaches affectives avec la Terre.

De fait, l’auteur esquive la difficulté qu’auraient entraînée des réalités chumoïenne et humaine plus élaborées. En attribuant aux étrangers un statut de touristes, il évite d’approfondir l’état scientifique et social de la planète étrangère. Somcynsky semble avoir pris le parti de la banalisation, de la superficialité. Tout demeure charmant, dans ce roman à l’écriture fluide, agréable à lire. Mais on ne va jamais jusqu’à l’irréparable, jusqu’au carrefour où divergeraient la Terre et Chumoï. Mais n’est-ce pas là le regard extraterrestre ? Nous avons un regard essentiellement touristique – une acculturation temporaire, dirait A. Moles – sur ces drôles d’hommes tourmentés par leur fragilité… [SB]

  • Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 169-172.

Références

  • Janelle, Claude, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 968-969.
  • Janelle, Claude, Carfax 45, p. 19-22.
  • Pelletier, Francine, Solaris 74, p. 16-17.
  • Sylvestre, Paul-François, Dictionnaire des écrits de l'Ontario français, p. 931-932.