À propos de cette édition
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Élisabeth Vonarburg est sans nul doute l’une des voix majeures de la science-fiction québécoise, une voix forte et souple, prête à toutes les prouesses de l’enharmonie… Au milieu des années 1980, à l’insu des lecteurs et des éditeurs, Vonarburg adopte une seconde identité « littéraire », histoire d’expérimenter un autre registre d’écriture et d’en vérifier la réception. Sabine Verreault devient alors guide et explorateur, double complice mais aussi double trompeur… Les sept nouvelles apparaissant au sommaire du recueil Ailleurs et au Japon ont toutes fait l’objet d’une première publication entre 1986 et 1989, dont deux sous le pseudonyme de Sabine Verreault.
Ailleurs et au Japon comprend une seule nouvelle fantastique : « Le Matin du magicien ». Vonarburg y aborde la création ou, plus précisément, l’écriture. Une jeune fille se remémore un voyage à Paris, son trajet depuis l’église Notre-Dame jusqu’à l’atelier d’un peintre énigmatique, puis la discussion métaphysique qui s’était engagée à propos de l’acte créateur. L’écriture dit et multiplie la réalité ; elle se situe comme toute création au-dessus même des contradictions. Quant au créateur, il serait à la fois Dieu et Diable, « a schizoid deity ». Mais les deux faces d’une même pièce peuvent-elles éternellement se tourner le dos ?
« Le Matin du magicien » ouvre fort bien le recueil puisque la réflexion sur la création et le double occupe une place prépondérante dans Ailleurs et au Japon. L’auteure interroge les processus de l’acte créateur et les rapports à la réalité, met en scène des artistes sculpteurs, imagine la création d’une société parallèle et de ses mythes, puis confronte les deux pôles de la création – vie/mort – comme elle se confrontera à son double Verreault. « Le Matin du magicien » opère en quelque sorte la métamorphose de l’écriture, le dédoublement créateur/créature.
Le balancement ou la confrontation entre le rêve et la réalité seront aussi constants dans ce recueil. Vonarburg avance en tant qu’auteure et personnage dans un espace intermédiaire : l’espace du littéraire. Rêve et réalité ne seront alors que les deux faces d’une même pièce. Comme les identités de Vonarburg et de Verreault ; l’une est réelle, l’autre rêvée. Mais toutes deux cohabitent dans l’écriture, savent « le lien qui unit les deux versions données de toute chose ». Tel ce personnage double (multiple) à la fin du recueil, dans la nouvelle Ailleurs et au Japon, qui choisit de sublimer son déracinement pour passer le restant de sa vie à la poursuite de chimères. Il écrira.
Élisabeth Vonarburg domine manifestement dans ce recueil, même si Sabine Verreault se garde le mot de la fin. Mais les deux voix se distinguent-elles vraiment l’une de l’autre ? Vonarburg est sans doute plutôt rationnelle, analytique, scientifique, curieuse. Elle s’attarde aux détails sans jamais perdre de vue l’ensemble, interroge la logique des systèmes, cherche à comprendre la nature des mouvements intérieurs et extérieurs. Verreault est plus imprévisible, rebelle, spontanée. Lire Sabine Verreault, c’est assister, tantôt dépassé, tantôt fasciné, à la réverbération de syllabes, de phrases, d’images, d’émotions. Comme dans la nouvelle intitulée Ailleurs et au Japon, qui met en scène un double/rêveur en dérive. Les mots glissent sur eux-mêmes, autour d’eux-mêmes, font écran et lumière ; les parcours se multiplient, d’écho en écho. C’est ici que la voix de Verreault résonne le plus distinctement.
Mais peu importe le nom ou le visage que l’auteure adoptera. L’univers de Vonarburg/Verreault est bien le même : celui de l’introspection, du rêve, du questionnement, de la quête et du double. On se rappellera l’importance de l’Œil dans le premier recueil de Vonarburg publié au Préambule (L’Œil de la nuit). La vision et la machine permettent à nouveau, dans Ailleurs et au Japon, d’accéder à des univers parallèles. Elles ouvrent la voie à de nouvelles expérimentations. Si les sciences et les technologies repoussent sans cesse les limites du connu et du possible, l’œil humain pourra le mieux capter/décoder/interpréter la charge émotive que transportent l’objet et l’être, qu’ils soient réels ou imaginés. Ainsi, c’est surtout par le regard/vision accouplé à une technologie de pointe que les personnages chercheront à établir ou à rétablir les ponts entre soi et l’autre, entre l’ici et l’ailleurs. Ce qui ne les empêchera pas cependant d’expérimenter l’absence totale de lumière, de prendre conscience autrement de l’environnement immédiat : « les surfaces exposées de ma peau avaient pris le relais de mes yeux inutiles », affirme la narratrice de Mourir un peu.
Dans « Le Dormeur dans le cristal », l’autre restera inaccessible. La rencontre avec l’homme enfermé dans son cristal, dans un espace-temps parallèle, n’aura duré que le temps d’un sourire. Cette rencontre aura la consistance d’un rêve, comme dans « Le Matin du magicien ». Dans la seule nouvelle que signent conjointement Vonarburg et Verreault, « Mourir, un peu », la quête de la narratrice conduit à l’éclatement de sa réalité : le désir de l’amant prisonnier de cubes étranges vient se confondre au désir de l’ailleurs. Le monde intérieur ouvre en fait sur une infinité de possibles, dessine une infinité de routes. L’image de soi se voit constamment réinventée.
« Les Yeux ouverts » montre l’éveil de la conscience, la métamorphose intérieure découlant de la vision. Dans ce texte, des scientifiques imposent des mythes, histoire de mieux contrôler les schèmes de pensée d’une nouvelle espèce évoluant en vase clos dans un territoire circonscrit. La plongée en soi conduit le personnage hors de cette réalité « fabriquée ». La vision active, même si elle semble passive, mènera à la libération.
Maintes descriptions et réflexions viennent détailler le propos ou la psychologie du personnage chez Vonarburg. « La Carte du tendre » décrit une performance artistique. Le lecteur/spectateur assiste à une véritable dissection du geste « opérateur », du corps « opéré », à la fois objet et sujet de l’œuvre. La qualité technique de la performance l’emporte ici sur la qualité de l’émotion. Une fois de plus, l’auteure joue avec la notion de dédoublement, et à plus d’un niveau.
« Cogito » représente enfin une enfant expérimentant la perte – ou l’amoindrissement – de ses sens perfectionnés par une technologie de pointe. Vonarburg interroge, avec brio et sensibilité, la perception/construction de la réalité via l’imaginaire et les autres. Une nouvelle remarquable, tout à fait réussie, qui montre que fiction et science peuvent fort bien cohabiter, se situer au-dessus même des contradictions…
Ailleurs et au Japon est un recueil qu’il faut lire et relire. Et ce qui frappera à la (re)lecture de ces nouvelles, c’est la curiosité immense des personnages, leur force intérieure, leur désir profond de l’ailleurs qui les poussera à tout expérimenter. Qu’ajouter sinon que manifestement, Vonarburg aime écrire et décrire, créer et recréer, jouer et déjouer ? [RP]
- Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 179-182.
Références
- Côté, Lucie, La Presse, 31-03-1991, p. C 2.
- Lamontagne, Michel, Solaris 98, p. 37.
- Martel, Clément, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IX, p. 15-16.
- Pelletier, Francine, Samizdat 20, p. 25-27.