À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Lila, une petite fille à la chevelure rousse, vit dans la partie ancienne du château du Pays-d’En-Bas depuis que sa mère, la Princesse Émimore, a été enlevée par la Chatte Rouge, une puissante magicienne. Et depuis ce temps, le Royaume est frappé d’amnésie, si bien que Lila cherche sans succès à connaître ce qui est arrivé à sa mère. Quand elle interroge sa gouvernante ou son précepteur, ils répondent à côté de la question ou se taisent, visiblement mal à l’aise.
Un jour, elle découvre dans une aile désaffectée du château les appartements de sa mère. La porte a fait place à un mur peint en trompe-l’œil derrière lequel la Chatte Rouge aurait fui en emportant sa mère. Dès lors, la petite Lila n’a plus qu’une idée en tête : retrouver sa mère et mettre fin au sortilège qui frappe le Royaume car la Chatte Rouge a emporté avec elle les chansons et les histoires qui constituent la mémoire du peuple. Une nuit, après avoir imaginé devant la fausse porte en relief des appartements de sa mère comment se rendre jusqu’à la Chatte Rouge, Lila se retrouve dans un souterrain éclairé en bleu qui descend et descend dans les profondeurs de la terre.
En cours de route, elle rencontre Aragne, une petite femme dotée de trois paires de bras et de mains que la Chatte Rouge avait enfermée dans un cocon de fil magique sept ans plus tôt. Aragne raconte son histoire à Lila et la met en garde contre la Chatte Rouge. Plus loin, la fillette se bute au dragon Godéran, gardien du souterrain, lui aussi victime d’un sort de la Chatte Rouge. Godéran fait à Lila le récit des méfaits de la magicienne.
La fillette se retrouve finalement dans la maison de la Chatte Rouge qui la met au défi de délivrer sa mère prisonnière d’« une bulle de temps ». D’abord méfiante, Lila se rend compte que la Chatte Rouge n’est peut-être pas aussi méchante que veulent le lui laisser croire les récits d’Aragne et de Godéran, surtout celui d’Aragne qui possède des pouvoirs de magicienne et qui a peut-être malencontreusement amplifié le sortilège de la Chatte Rouge en croyant en contrecarrer sa portée.
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Commentaires
Élisabeth Vonarburg, auteure de littérature jeunesse ? Cela peut surprendre, mais elle avait déjà publié en 1990 un petit récit de fantasy, Histoire de la Princesse et du Dragon. Cette fois-ci, la proposition est plus substantielle, Les Contes de la Chatte Rouge comptant 255 pages dans lesquelles l’écrivaine jongle avec des notions comme l’importance de l’imaginaire, les univers parallèles, la transmission de la culture orale, les apparences qui peuvent être trompeuses et la vérité qui n’est pas univoque. Je ne suis pas convaincu que les jeunes lecteurs vont saisir toutes les nuances de la démonstration ludique d’Élisabeth Vonarburg, Je pense en particulier à l’exemple des bulles (comme des bulles de savon) pour illustrer le principe des univers parallèles ou, encore, à la longue explication menant au renversement de perspective quand l’impression de descendre se transforme en impression de monter. Pour un lecteur adulte toutefois, le récit de Vonarburg est un pur délice qui nourrit toutes sortes de réflexions.
Au-delà du cadre traditionnel des contes de fées et des motifs qui sont associés à cet univers tels que le statut d’orpheline de l’héroïne, une particularité physique qui la distingue des autres (ici, sa chevelure rousse), le secret entourant ses parents et sa quête identitaire, référents qui facilitent la connivence du jeune lecteur, c’est à une entreprise de démystification que se livre l’auteure dans Les Contes de la Chatte Rouge. S’y lit en effet une réflexion sur la nécessité de la culture, représentée ici par les chansons et les histoires, qui, absente (ou dérobée), conduit à l’étiolement et à la déliquescence de la vie quotidienne. « Les histoires sont comme les chansons, des liens entre le passé et l’avenir : elles passent de génération en génération. » Sans mémoire, donc sans passé et sans avenir, la population du Royaume est condamnée à une lente extinction, ce que symbolise d’ailleurs l’incapacité d’enfanter depuis l’enlèvement de la Princesse, dommage collatéral du sortilège de la Chatte Rouge.
Le besoin d’imaginaire est rappelé par la quête de Lila, déclenchée par la prise de conscience de l’absence de livres de vraies histoires dans la bibliothèque du château après qu’elle eût appris à lire. Cette expérience de l’apprentissage de la lecture donne lieu, d’ailleurs, à de fort belles pages où la poésie du monde de l’enfance est magnifiquement rendue.
Au récit initiatique de la quête identitaire se greffe une réflexion tout en douceur, sans radicalisme, sur le féminisme. Récupérant au passage l’un des mythes fondateurs de la religion catholique – comme la Vierge Marie, la Princesse Émimore a conçu Lila sans l’aide d’un homme, grâce à la magie de la Chatte Rouge –, Élisabeth Vonarburg questionne la stupidité de la loi de succession qui stipule que le Royaume doit être transmis de père en fils, une fille ne pouvant gérer un État. Sans cette loi archaïque et inique, bien des guerres auraient été évitées, et le pacte intervenu entre le Roi et la Chatte Rouge pour lui donner un petit-fils, qui tourne au vinaigre et provoque des dommages collatéraux, n’aurait pas eu lieu d’être.
Le conte étant une forme de récit qui repose sur des archétypes, Élisabeth Vonarburg s’en sert pour confronter vérité et fabulation, histoire vraie (les récits historiques) et vraie histoire (les récits imaginaires) par l’entremise des récits d’Aragne et de Godéran qui comportent leur part de vérité et de mensonges. En fin de compte, la réalité, comme la fiction, est teintée d’un point de vue subjectif et il serait futile d’établir une hiérarchie des récits car ils s’influencent mutuellement. Au fil de la lecture, la perspective du lecteur à l’égard de la Chatte Rouge évolue et celui-ci se rend finalement compte qu’elle n’a pas tous les torts et qu’elle n’est pas si méchante que cela.
Quand on apprend que le sort qui frappe le Pays-d’En-Bas ne doit durer que sept ans et que la quête entreprise par Lila, qu’elle ait eu lieu ou non, n’avait aucune incidence sur la levée de la malédiction, on comprend que le voyage a plus d’importance que la destination. Ce faisant, l’auteure renforce le caractère ludique du conte et jette du lest afin d’éviter que la morale ne plombe le récit. En route, Élisabeth Vonarburg aura utilisé les motifs du conte de fées pour se jouer de ses codes et pour illustrer de façon très originale le concept des univers parallèles. Quand Lila, grâce au fil magique fourni par Aragne, sépare en deux sphères la bulle de temps représentant Maître Lemire dans la bibliothèque, la démonstration apparaît limpide : dans une bulle, Maître Lemire est assis à une table et lit ; dans l’autre, il se lève et va chercher un livre sur les rayons. C’est pourtant le même homme dans chaque bulle. Cette image cristallise en fait l’une des obsessions majeures qui traversent l’œuvre entière d’Élisabeth Vonarburg. Et c’est pourquoi Les Contes de la Chatte Rouge, tout en sollicitant mon âme d’enfant, me fascine en tant qu’adulte qui fréquente son œuvre depuis des lustres. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1993, Alire, p. 197-199.
Références
- Anonyme, Littérature québécoise pour la jeunesse 1993, p. 26.
- Anctil, Mélissa, imagine… 71, p. 140-141.
- Fortin, Simon, Lectures, vol. 1, n˚ 2, p. 10.
- Gagnon, Danielle, Lurelu, vol. 20, n˚ 3, p. 78.
- Laforge, Christiane, Le Quotidien, 25-09-1993, p. 17.
- Liénard, Alice, Collections, vol. 2, n˚ 6, p. 44.
- Martin, Christian, Temps Tôt 35, p. 49.
- Meynard, Yves, Lurelu, vol. 16, n˚ 3, p. 19.
- Montpetit, Charles, Solaris 108, p. 57.
- Sarfati, Sonia, La Presse, 05-12-1993, p. B7.