À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
La famille de grand-mère Eïlai est réunie autour du feu dans la maison du clan, au milieu de l’hiver. La soirée est propice aux récits légendaires qu’Eïlai ne se fait pas prier pour raconter, elle qui possède aussi le don des Rêveurs. Sur les instances de ses petits-enfants, et plus particulièrement pour répondre aux questions du petit Tikarek âgé de quatre Saisons, elle entreprend de raconter les contes qui expliquent l’univers de Tyranaël, sa mythologie, l’origine de ses peuples et leurs particularités.
Elle commence comme il se doit par le conte de la Création en présentant Hananai, la Divinité créatrice. Après avoir créé Tyranaël, elle a voulu ajouter de la vie sur la planète en la peuplant d’animaux et d’êtres humains après quelques essais désastreux en ce qui concerne ces derniers. Hananai a aussi créé des dzarlit, des demi-dieux et demi-déesses qui servent d’intermédiaires entre elle et le monde et qui agissent comme Gardiens : du vent, des montagnes, de la forêt, du printemps, etc. Et pour finir, elle a créé Iptit au Chapeau Vert, le Gardien des petites choses, dont Eïlai raconte l’histoire. La découverte d’un petit caillou de tellaod lancé sur Tyranaël par Iptit va amener Khaliad, fils du roi d’Ansaalion et futur hériter du trône, à faire la rencontre de la jeune guérisseuse Arani. Cette union mettra fin aux conflits entre les Hébao et les Tyrnao, le peuple le plus ancien de la planète.
Vient ensuite l’histoire de Lileïniloo dont Pyan-Dzaïri, le Gardien du Vent, tombe amoureux et qui explique comment est venu aux humains le don de voler. Eïlai enchaîne avec l’histoire d’Oghim, fils du roi Karaïd Tsaludar et prince-héritier. Or Oghim est né sans ombre, ce que son entourage lui cache jusqu’au jour où, à l’adolescence, il découvre qu’il n’est pas comme les autres humains. Déterminé à retrouver son ombre après la visite d’un mendiant à la cour qui lui annonce qu’il la trouvera à l’île des Dieux, Oghim prend la route sans savoir vraiment quelle direction emprunter. En chemin, il croise un vagabond, Galaas, qui lui sert de guide. À la faveur de diverses embûches dont il triomphe, Oghim acquiert chaque fois un nouveau pouvoir : celui de voler, de déplacer les objets à distance, de lire dans les pensées et de Rêver. Il atteint enfin l’île des Dieux, refuge impénétrable des Ékalli, créatures extraterrestres.
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Commentaires
Contes de Tyranaël se présente comme une enfilade de quelque cinq contes qui peuvent se lire de façon indépendante mais qu’Élisabeth Vonarburg lie habilement les uns aux autres pour tisser la mythologie des peuples de la planète Tyranaël et pour jeter les bases de son mythe originel. Ainsi, le conte « Paguyn et Kithulai », que l’auteure avait publié dans une traduction anglaise mais pas en français, s’insère-t-il avec aisance dans la mythologie tyranaëllienne. On constate ici, plus que jamais, l’importance qu’Élisabeth Vonarburg accorde aux histoires, aux contes dont les versions sont innombrables parce qu’il n’y a pas qu’une seule vérité et parce que les mythes sont différents d’une culture à l’autre. En fait, les mythes sont les mêmes mais la façon de les interpréter diffère d’un peuple à l’autre.
Comme le livre s’adresse au public adolescent, la structure narrative en est plus limpide, en harmonie avec l’aspect primitif de ces récits. Dans les romans pour adultes de l’écrivaine, le récit fondateur est souvent enfoui sous plusieurs couches de civilisation. Ici, on est au plus près des origines de la civilisation tyranaëllienne. Cependant, Élisabeth Vonarburg n’a pas nivelé par le bas ni fait de compromis pour faciliter la lecture des adolescents. Il n’y a rien de prémâché dans sa narration envoûtante. Elle invente un vocabulaire qui donne un aperçu des langues parlées sur Tyranaël et ajoute un degré de difficulté par l’usage du pluriel qui prend une tout autre forme que le simple ajout d’un « s » pour s’exprimer. La barre est haute quoique, dans plusieurs cas, le contexte permet de saisir le sens du mot exogène, quand la phrase suivante ne l’explicite tout simplement pas. Mais pourquoi se priver de consulter le riche lexique à la fin du livre ? Il y a là beaucoup d’invention qui donne la mesure de l’imagination de l’auteure et démontre à quel point elle maîtrise tous les aspects de sa création de monde.
Outre la faune et la flore particulières de la planète, la langue permet de décrire des réalités moins concrètes, comme le rapport au masculin et au féminin et la conception de l’univers. Ainsi, si certains voient en Hananai une divinité mâle et utilisent « il » pour la désigner, d’autres considèrent qu’« elle » est une divinité femelle. Eïlai, dont l’expérience vécue et les dons particuliers en font un puits de sagesse et de connaissances, utilise le pronom « laonï » – à la fois masculin et féminin – pour évoquer Hananai. On reconnaît là une préoccupation chère à l’auteure qui, dans Chroniques du Pays des Mères, utilisait le pronom « ille » pour illustrer la même idée. Autre civilisation, autre terme, mais même volonté de tendre à l’unicité de l’être humain plutôt que de souligner sa différence par le sexe.
Rarement une carte au début du livre aura été aussi utile pour comprendre la géographie de Tyranaël car Élisabeth Vonarburg ne se prive pas d’utiliser un abondant répertoire de toponymes qui contribuent à ancrer cet univers dans l’imaginaire du lecteur.
À la fin de ma lecture, je n’ai pu m’empêcher d’y voir un clin d’œil complice à deux œuvres majeures de la science-fiction québécoise. La présence des Rêveurs (comme Eïlai, comme Oghim), qui ont des visions du futur, du passé ou d’autres univers créés par Hananai, rappelle inévitablement quelques personnages du cycle de Vrénalik d’Esther Rochon. Quant aux Ékelli, qui ne sont pas originaires de Tyranaël et qui révèlent à Oghim sa véritable identité en lui conférant les pouvoirs de télépathie, de télékinésie, de lévitation et la faculté du Rêve, n’évoquent-ils pas les Centraliens de L’Oiseau de feu de Jacques Brossard par leur retranchement dans l’île des Dieux et par leur capacité à intervenir incognito dans l’évolution des habitants de la planète ?
Contes de Tyranaël est-il le passeport tout désigné pour entrer dans la fameuse pentalogie Tyranaël ? Ce livre contient assurément des éléments d’information susceptibles d’éclairer le lecteur prêt à entreprendre la traversée de cet univers plein de mystères. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 197-199.
Références
- Dupuis, Simon, Solaris 116, p. 40.
- Gagnon, Danielle, Lurelu, vol. 18, n˚ 1, p. 40.