Coup de tête

Avant d’être guillotiné sur la place publique, le sorcier André Tremblay a pris soin d’ingurgiter une décoction magique afin de pouvoir reprendre vie après son exécution. Sa tête doit retrouver son corps, mais elle a roulé sous l’échafaud et connaît de multiples déboires. D’abord, elle doit apprendre à se déplacer à force de contorsion des muscles du visage. M^lle Lacharité, très myope, la ramène chez elle croyant emporter un gentil toutou abandonné. Elle en prend grand soin jusqu’au moment où, ayant retrouvé son lorgnon, elle découvre la vérité sur son « animal » de compagnie et en meurt de frayeur instantanément. Un cousin véreux de la vieille dame assomme la tête et la vend à un forain comme attraction macabre. Comme elle est morte depuis deux jours, la tête est en train de se putréfier horriblement et elle décide de se suicider pour ne pas subir une longue décomposition. S’échappant dans la rivière, elle constate qu’elle survit dans l’eau. Heureusement, Verrat, le chien de M^lle Lacharité, vient la tirer de là et la tête du sorcier espère s’en faire un ami qui la conduirait vers son corps à la morgue.

• Coup de tête (2012) - Nouvelle

Claude Bolduc sert ici le fantastique à la sauce humoristique. Les aventures rocambolesques de cette partie du corps animée prêtent à rire. Cette façon irrespectueuse de traiter le macabre arrive tout de même à arracher quelques grimaces lors des descriptions morbides de la chose. L’auteur nous convie à une exacerbation de tous les sens à grand renfort de bruits, d’odeurs nauséabondes et d’images horribles ; il ne fait pas dans la dentelle.

La sorcellerie y est ridiculisée par sa prétention (« terrible Necronomicon », les démons de l’esprit Durson du cinquième Globe de Yog-Sothoth, etc.) et son inefficacité malgré la prudence et les connaissances de l’initié. Les potions, les formules et ses pouvoirs hypnotiques ne peuvent pas aider le sorcier qui se sert pourtant de toute sa tête ! Peut-être s’agit-il d’une leçon par l’absurde aux adolescents qui pourraient se laisser séduire par les promesses d’éternité de charlatans mal intentionnés ? On ne sait d’ailleurs pas pourquoi André Tremblay a été condamné à la décapitation. Son apparence sulfureuse peut avoir provoqué la peur des autres et ainsi précipité sa fin alors que ses expériences démoniaques cherchaient plutôt à prolonger sa vie : voilà encore une ironie de situation. En effet, ce texte est très inhabituel et se lit avec le sourire. Le mélange du rire et du dégoût plaira sûrement au public cible de ce collectif. [AL]

• Source : L'ASFFQ 1998, Alire, p. 27-28.