À propos de cette édition
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Cinquième recueil d’Élisabeth Vonarburg, La Maison au bord de la mer regroupe sept nouvelles qui, à l’exception des « Dents du dragon », ont déjà été publiées, sous une forme parfois différente. Ces nouvelles présentant toutefois une communauté d’univers, la forme du recueil apparaît judicieuse puisqu’elle permet au lecteur de découvrir petit à petit, fragments par fragments, un monde infiniment complexe, elle lui permet d’avancer pas à pas dans ce monde différent de son cadre de référence. La Maison au bord de la mer le plonge en effet dans un univers où la Terre, dévastée par les catastrophes climatiques et écologiques qui l’ont frappée à la fin du XXe et au début du XXIe siècles, est complètement transformée. À cause des Grandes Marées, l’eau a recouvert la majeure partie de la planète, des endroits comme New York, la Californie, le Japon, la Polynésie ont été engloutis, le Sahara lui-même est devenu une mer ; la planète est parsemée de « Zones de récupération », des no man’s land où l’on retrouve des plantes, des animaux et des humains mutants ; certains humains, les métames, sont porteurs de gènes qui leur permettent de se métamorphoser au gré de leur fantaisie. Le monde est à mi-chemin entre la mort et la renaissance.
Les noms des personnages (Permahlion, Angkaar, Nakumura, Marian Bauer), les néologismes (gazillac, amok), les néologismes de sens (les Récupérateurs, les Pionniers) fondent la communauté d’univers, mais ce ne sont pas les seuls liens entre les textes du recueil. L’effet intertextuel est aussi supporté par un habile réseau d’allusions qui assurent rapidement un sentiment de familiarité. Ainsi, les Catastrophes, les Grandes Marées, la période de la Reconstruction, le Parc aux Colibris, la Promenade du Bord de Mer, l’Institut d’Australie sont évoqués dans plusieurs nouvelles. La présence insistante de certains groupes de personnages produit également un effet semblable. Par exemple, on rencontre des métames dans « Band Ohne Ende », « Dans la fosse », « Les Dents du dragon » et « La Maison au bord de la mer » ; les « Eschatoï », ces gens qui vouent un véritable culte à la mort et détruisent tout, convaincus que ce qui a été la fin d’un monde aurait dû être la Fin du Monde, sont évoqués dans « Janus » ainsi que dans la nouvelle éponyme ; ces deux derniers textes mettent également en scène des bio-sculpteurs, personnages que l’on retrouve aussi dans « …Suspends ton vol ». En outre, toutes les nouvelles se déroulent, en tout ou en partie, dans la ville de Baïblanca, capitale de l’Eurafrique. À ce sujet, mentionnons que la ville de Baïblanca ne se retrouve pas seulement dans ce recueil : elle apparaît comme une constante dans l’œuvre de Vonarburg puisqu’on la retrouve également dans des nouvelles comprises dans le cycle du Pont.
Le lecteur voit donc cet univers se constituer bribe par bribe au fil de sa lecture. Ce monde, il a envie – et même besoin – d’y croire puisque la grande force de l’auteure est d’avoir réussi à créer un univers et des personnages assez substantiels (en dépit du fait qu’il s’agisse de nouvelles) pour que le lecteur y adhère. On s’attache aux personnages, on vit avec eux leurs souffrances, leur quête d’identité, quête qui constitue d’ailleurs l’un des thèmes majeurs de l’œuvre. En effet, on retrouve dans presque chaque nouvelle un personnage qui se cherche, qui ne sait plus où il en est, qui il est, ce qu’il est – dans le cas des métames, des hybrides de métames et des artefacts. On devine ici que la marginalité, la différence, la difficulté de vivre avec cette différence constitue également l’un des thèmes importants de « La Maison au bord de la mer ». Et la peur… la peur de la différence qui fait qu’on finit par envoyer tous les métames dans Lagrange 4, une station en orbite autour de la Terre (« Les Dents du dragon ») ; la peur de la différence qui fait que tous les marginaux de Baïblanca (métames, mutants, travestis, lesbiennes, transsexuels) vivent dans la basse-ville, qu’on appelle la Fosse, cachés aux yeux des habitants de la haute-ville, qui ne veulent pas les voir (« Dans la fosse »).
La peur de la différence donc, mais aussi la peur ressentie devant un monde qui a tellement changé, qui est tellement différent de ce qu’il était avant les Catastrophes. Les personnages réagissent différemment à cette peur, les « Eschatoï » en tuant et en détruisant tout ce qu’ils peuvent, leurs opposants en se cherchant des raisons pour continuer à vivre. Comme l’espérance de vie humaine a considérablement diminué, de même que les capacités de procréation, les personnages vouent un certain culte à la longévité et à l’immortalité : les métames sont enviés parce qu’ils ont une durée de vie beaucoup plus longue que les humains normaux, les bio-sculpteurs, Permahlion en tête, créent des « statues » humaines de matière synthétique vivante dont on peut ralentir et même stopper le processus de dégénérescence, ce qui fait que ces artefacts peuvent vivre infiniment longtemps (« Janus », « La Maison au bord de la mer »). L’humain ne se résigne pas à disparaître en tant que race.
Très bien écrit, dans une langue plus souvent elliptique et allusive que descriptive ou explicative, La Maison au bord de la mer est un exemple de ce que devrait viser la littérature de science-fiction en général. Comme Boris Eizykman le souligne avec justesse, il ne suffit pas d’inventer quelques mots abscons aux sonorités futuristes et aux références ambiguës pour faire basculer un récit dans l’espace de la différence. Élisabeth Vonarburg l’a bien compris et c’est ce qui fait de ce recueil, comme de chacune de ses œuvres d’ailleurs, un véritable bijou. [SN]
- Source : L'ASFFQ 2000, Alire, p. 188-189.
Références
- Bérard, Sylvie, Lettres québécoises 102, p. 34-35.
- Bérard, Sylvie, Spirale 179, p. 17.
- Laigle, Jean-Pierre, Solaris 136, p. 102-103.
- Mirandette, Marie-Claude, Le Devoir, 28/29-04-2001, p. D 3.