À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Taïriel est une bloquée. Lors des célébrations de la Nouvelle Année, elle rencontre Samuel dont elle tombe amoureuse. Quelques jours après avoir emménagé chez elle, il quitte les lieux sans laisser d’explication. La jeune femme remarque parmi les déchets une étrange sphère de métal dont les cabochons semblent avoir été abîmés dans un mouvement de colère. Le même jour, Taïriel a sa première vision : dans un laboratoire, un homme enragé détruit, à l’aide de bras mécaniques, des corps enfermés à l’intérieur de caissons transparents. Le rêve est sanglant, horrible. Apeurée, Taïriel cherche à fuir ces visions qui l’investissent à l’improviste. Serait-elle en train de débloquer en « rêveuse » ? Pourtant, il n’y a jamais eu de rêveurs parmi les Virginiens…
Tout à fait par hasard, Taïriel surprend Samuel au Musée. Elle apprend d’une employée qu’il se nomme Simon Fergus. Intriguée, elle le suit, décidée à le confronter. Samuel justifie son attitude par une forme de progéria dont il serait atteint. Taïriel lui fait part de ses visions et de ses inquiétudes. Il se montre très intéressé, d’autant plus que le personnage du rêve s’avère être Ktulhudar. Simon n’a-t-il pas entrepris de ramener, avec son ami Guillaume, le sarcophage de cristal de Ktulhudar jusqu’à l’Île d’Aguay où se trouve celui d’Eylaï ? Coïncidence ? Taïriel décide de les accompagner. Tous trois franchissent la barrière d’Aguay grâce aux puissants pouvoirs de Simon. À la vue du sarcophage d’Eylaï dans la caverne, Taïriel sursaute : elle reconnaît la femme qui dormait dans le caisson de son rêve. Elle aurait rêvé que Ktulhudar massacrait son épouse…
Simon et Guillaume ne s’entendent pas sur l’interprétation à donner aux rêves de Taïriel, sur la nature et l’origine des dieux Ékelli. Des extraterrestres qui se seraient fait passer pour des dieux auprès des Ranao ? Des mutants précoces parmi les Anciens Ranao ? Tout bascule lorsque Taïriel est saisie d’une autre vision : un homme gris entre discrètement dans une vieille maison. Il se penche sur un vieillard alité du nom de Simon. L’homme ouvre une mallette contenant fils et tuyaux… Profondément troublé, Simon avoue à Taïriel être âgé de 700 ans. La jeune femme vient vraisemblablement d’assister, en rêve, à la séance de régénérescence de Simon chez les Bordes. Mais comment expliquer qu’il n’en ait aucun souvenir ? Serait-il une marionnette manipulée par une race clandestine habitant sur Virginia ? Qui est-il véritablement ?
Solidaires dans leur quête de la vérité, Simon et Taïriel se rendent au temple d’Ékriltan dans les montagnes du Catalin. Si les Ékelli existent, c’est là qu’ils se trouvent. Après avoir tenté plusieurs manœuvres pour accéder au cœur du Catalin, Simon et Taïriel doivent se résoudre à escalader le mont, une expédition ardue et périlleuse à une telle altitude. Pendant l’ascension, les visions se multiplient chez Taïriel. Se révèle ainsi toute la vérité autour des grands mythes des Anciens, des mutations et des dieux Ékelli. Dans les derniers moments de la montée, Taïriel raconte tout à Simon, vieilli et dangereusement affaibli. Lorsqu’ils atteignent la terrasse, Galaas se précipite au secours du vieillard. Simon connaît enfin la vérité. Et il choisit alors l’issue de son destin.
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Commentaires
Comme dans les tomes précédents, La Mer allée avec le soleil met en scène un personnage issu de la même grande lignée des Rossem/Janvier. Taïriel est une hybride descendant de Lian Flaherty par sa mère et de Mathieu Janvier par son grand-père rani. Près de deux siècles se sont écoulés depuis l’Ouverture amorcée avec la venue de Lian sur Virginia et la publication de ses livres. La paix est revenue sur Virginia ; les peuples vivent dans l’harmonie, voyagent d’un univers à l’autre au rythme de la Mer ; ils se montrent curieux et tolérants. La conviction que des univers parallèles existent dans une infinité de possibles a révolutionné la pensée des Virginiens, leur rapport au monde et aux autres.
La Mer allée avec le soleil marque l’aboutissement de la longue quête existentielle de Simon, la fin de la solitude et du mensonge. Toutes les énigmes se voient enfin résolues. Pourquoi Simon et Mathieu sont-ils immortels et comment Simon se régénère-t-il ? Quelle est la cause des mutations sur Virginia ? Comme tous les personnages qui ont traversé la série, Simon veut connaître la vérité sur sa nature ; il aspire à la liberté et au repos. Lorsqu’il visite le Musée en compagnie de Taïriel, il observe avec tristesse le gigantesque arbre-à-eau qui vient de mourir. L’arbre-à-eau est doté d’une longévité extraordinaire (2000 ans). Celui-ci avait été mis en terre par les Anciens Ranao. Il était en pleine maturité lorsque les premiers colons terriens ont débarqué sur Tyranaël. Sa mort présage-t-elle la fin d’un cycle pour Simon ? Doit-il se reconnaître dans cet arbre ? Pour les Ranao, l’arbre-à-eau est un symbole de continuité dans le passage de la vie à la mort, puis de la mort à la vie…
L’itinéraire de Simon et de Taïriel nous ramène dans des lieux clés de la série Tyranaël : la Tête de Cristobal, le Musée (ancien temple des Anciens où les premières plaques mémorielles ont été découvertes), l’Île d’Aguay protégée de sa terrible barrière, les montagnes du Catalin (expédition de Shandaar). Tous ces lieux, marqués par le sacré et nimbés de mystère, apparaissent sous de nouveaux éclairages…
Vonarburg fait de Samuel/Simon un historien, et de Taïriel une rêveuse. Le regard d’historien de Simon permet une récapitulation des moments forts de l’histoire et un retour sur le chemin parcouru au cours du dernier millénaire. Ainsi, lors de sa visite du Musée en compagnie de Taïriel, Samuel prend plaisir à commenter tout ce qu’il voit et à questionner la guide. On apprend que la Mer entre dans la fabrication du psirid, que seuls les hékellin d’un certain niveau peuvent reconnaître les « portes » et annuler la programmation du psirid. Enfin, de nouvelles informations sur l’évolution de Virginia nous sont livrées et des événements importants sont ramenés à notre mémoire. Les cinq tomes de Tyranaël défilent alors sous nos yeux, rendant plus apparentes les filiations. Et le souvenir est chargé d’émotions (le lecteur sait trop bien qu’il s’agit là, pour lui aussi, d’une dernière visite et il se rend compte de tout l’attachement qu’il a pour ce monde).
Quant à Taïriel, en faisant d’elle une rêveuse (ou pseudo-rêveuse), Vonarburg redonne aux visions un rôle de premier plan. Chaque vision de Taïriel devient une clé à la compréhension de l’histoire, nous replonge dans le lointain passé de Tyranaël (la rencontre entre Ktulhudar et Eylaï, entre Oghim et Galaas, l’évolution des rituels initiatiques de l’adolescence, la création de l’androïde Galaas, etc.). À la lumière de nouveaux référents, le lecteur découvre les histoires qui ont donné naissance aux mythes des Anciens Ranao ; il revoit les grandes étapes de l’évolution de Virginia sous un autre angle. C’est que les Ékelli interviennent dans toutes les visions de Taïriel : ils expérimentent, orientent, protègent, condamnent, modifiant à l’occasion les règles du jeu… (Les Ékelli représentent peut-être les « chasseurs » du grand Jeu de la perfection qu’affectionnaient tant les Anciens…). Car il s’agit bien d’un jeu dans lequel le hasard joue le plus grand rôle. La nature reste en effet maîtresse d’elle-même : elle s’adapte et s’invente ses propres règles dans un infini d’imprévisibles…
La civilisation des Anciens Ranao est fondée sur les mythes de Ktulhudar / Eylaï et d’Oghim/Galaas. Vonarburg y revient pertinemment dans ce dernier volet. Lorsque Simon demande à Taïriel : « M’aimeras-tu si je dois vivre toujours ? », la tragique histoire de Ktulhudar s’impose à notre esprit. Simon partage avec Ktulhudar le poids de la solitude et de sa condition d’immortel. Car que vaut l’immortalité sans amour ? Le parcours et le destin de Simon évoquent aussi ceux d’Oghim. Tous deux sont en quête d’une identité ; ils traversent de dures épreuves et paraissent invincibles. Seraient-ils des dieux ? Oghim accède à la demeure des dieux Ékelli sur l’Île d’Aguay ; Simon pénètre le cœur du Catalin où vivent désormais les Ékelli (sur le plan symbolique, l’île, la montagne et la caverne ont la même résonance spirituelle). Comme le prince en fin de parcours, Simon refuse de renoncer à sa condition d’homme. Il puise en Taïriel et en son amour la force nécessaire à l’accomplissement de son destin.
La série Tyranaël compte parmi les plus grandes œuvres de science-fiction que le Québec ait vu naître. Élisabeth Vonarburg a créé un monde complexe et exigeant dont les assises symboliques sont riches et fascinantes. Presque tous les thèmes de la science-fiction s’y trouvent réunis : la colonisation de planètes avec tous les différends politiques que cela suppose, les mutations et leurs conséquences sur les plans personnel et sociopolitique, l’immortalité, les univers parallèles (espace-temps), la construction de nouveaux mythes, le transfert de personnalité, la création d’androïdes, l’existence de vies « autres » (la Mer, les Ékelli, les licornes…), etc. Mais les grands thèmes universels y occupent une place de premier plan : le rêve, la quête d’identité, la quête du bonheur, la souffrance, l’amour et la mort.
Les personnages principaux (tour à tour féminins, masculins, enfants, adolescents ou adultes) luttent contre l’ignorance et l’obscurantisme. Ils cherchent et avancent. Jamais ils ne renoncent. Vonarburg fait le portrait d’êtres authentiques, attachants, épris d’idéal et de liberté. Pour le lecteur, laisser derrière soi un personnage comme Simon Rossem aurait pu se vivre comme une déchirure si l’auteure n’avait pris soin, dans un épilogue et une brève coda, de suggérer une continuité à l’œuvre.
Quatre siècles après la mort de Simon, Mathieu vit toujours sur Atyrkelsao, les mutations ne cessent de surprendre les Ékelli qui vivent au grand jour parmi les Virginiens et les Ranao. Certains Virginiens « rêvent ». Réal, un descendant des Flaherty, voit sans cesse les mêmes catastrophes conduire le peuple des Shipsha à l’extinction. Il cherche à intervenir, à influencer les personnages de ses rêves de façon à les sauver. Jusqu’au jour où Galaas vient lui annoncer qu’un vaisseau des Shipsha s’apprête à descendre sur Virginia. L’Ékelli assiste à la (re)naissance de rêveurs-kvaazim capables d’agir sur le déroulement du temps et de l’histoire.
Quant à Mathieu, jamais il n’est revenu sur Virginia. Peut-être Simon lui avait-il tout révélé à propos des Ékelli. Ainsi, lorsque Galaas apprend qu’il s’est embarqué à bord du bateau quittant Atyrkelsao, c’est avec appréhension qu’il l’attend à Cristobal. Est-il en fin de parcours ? Lui en veut-il ? Sur le quai, leurs regards se croisent. Et Mathieu tend les mains à Galaas. Vonarburg choisit la réconciliation et l’ouverture, une finale qui respecte la tonalité de Tyranaël et qui invite le lecteur à s’inventer une histoire parmi l’infinité des possibles… [RP]
- Source : L'ASFFQ 1997, Alire, p. 190-193.
Références
- Boisvert, Richard, Le Soleil, 20-12-1997, p. D 11.
- Martel, Clément, Québec français 110, p. 25-26.
- Martin, Christian, Temps Tôt 46, p. 41.
- Mercier, Claude, Proxima 5, p. 90-91.
- Péan, Stanley, Ici, 01/08-01-1998, p. 24.
- Sarfati, Sonia, La Presse, 14-06-1998, p. B 6.
- Trudel, Jean-Louis, KWS 29-30, p. 40-48.