À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
[2 SF ; 4 FA ; 9 HG]
Le Catcher du métro
La Cage de verre
Les Noces de brume
L'Aube dangereuse
La Petite Princesse et le labyrinthe des rêves
L'Arbre sous la pluie
Les Funérailles de Lazare
La Loi de Murphy
Keiko
La Champion de solitude
Le Royaume silencieux
La Composition
L'Arène
Ambigu
La Prison de cristal
Autres parutions
Commentaires
Ni l’Orient moderne ni la désorientation ne dominent réellement le recueil de Chung, son premier livre. L’auteur ratisse large et consacre ses nouvelles à des personnages divers, qui vont d’un écrivain inspiré par Simenon à un misanthrope névrosé, en passant par un poisson plutôt loquace. Plusieurs de ses personnages souffrent d’un mal de vivre qui correspond, selon les cas, à une pathologie (obésité, misanthropie), à un manque d’amour ou à une incapacité à se conformer aux attentes de leur société.
Toutes les nouvelles ne sont pas fantastiques, mais les deux tiers (dix sur quinze) s’écartent du réalisme strict. Le fantastique tient souvent à l’insolite des situations ou à l’hésitation quant à la nature des événements. Les histoires de Chung versent moins souvent dans un fantastique affirmé que dans une ambiguïté trouble, sinon glauque.
La folie fait parfois partie des explications envisageables. Le protagoniste de « L’Aube dangereuse » est-il en proie à des hallucinations ou a-t-il réellement été enlevé par des extraterrestres qui l’exploitent sexuellement ? Maurice, tout seul dans son manoir, imagine-t-il des fantômes et des voix pour échapper au silence ? De même, les fantômes qui hantent « Les Noces de brume » ne sont peut-être que le produit des croyances et superstitions ancestrales.
D’autres nouvelles, comme « La Loi de Murphy », relèvent plus clairement de la fable. L’histoire de Robbie, l’obèse qui se transforme en champion de sumo, rappelle celle du vilain petit canard. Non sans une dose d’ironie, « Le Royaume silencieux » renvoie à un titre de Cousteau alors que la nouvelle met en scène le poisson le moins muet des annales de la fiction. La vie du petit poisson qui a successivement appris à parler, à communiquer, à lire et à écrire pourrait récapituler de manière allégorique le parcours d’un écrivain, non sans un clin d’œil au passage à l’histoire de Charlotte’s Web.
C’est l’insolite qui caractérise « Le Catcher du métro » ou « La Cage de verre » en démontrant que la réalité peut déraper même sans intrusion du surnaturel. Pourtant, la dernière nouvelle, « La Prison de cristal », est à la fois la plus émouvante et la plus proche du fantastique traditionnel. Cette histoire de fantôme toute japonaise joue sur la perte, l’éloignement, l’exil et la possibilité de repartir à neuf, une vie sacrifiée effaçant une vie gâchée selon une algèbre subliminale.
Une nouvelle à part, « Ambigu », est si subtilement audacieuse qu’elle en devient inclassable. Elle récapitule le parcours d’une vie en s’inspirant d’une citation de Kafka et en jouant sur l’ambiguïté des indices fournis par la narration. Elle n’est affaiblie que par le dénouement science-fictif que l’auteur ajoute pour souligner le thème du récit.
Si l’ensemble du recueil peut sembler hétéroclite, il en retire l’agrément de la variété. Les nouvelles exploitent aussi bien l’humour noir, l’argument philosophique et l’insolite troublant que la parabole morale du fantastique classique. Leur construction prête toutefois le flanc à la critique. Peut-être obnubilé par l’enseignement universitaire de la nouvelle comme texte à chute, Chung conclut plusieurs de ses récits avec des chutes qui semblent plaquées dans le meilleur des cas (« Ambigu ») quand elles ne sont pas atrocement éculées (« L’Aube dangereuse »). Il aurait gagné à creuser la logique de ses textes sans s’entêter à leur imposer une chute.
Néanmoins, Chung signe un recueil qui se lit avec plaisir. Le style est généralement relevé, pimenté de mots rares que l’auteur affectionne. Les univers ainsi créés bénéficient aussi de l’utilisation fréquente de documents extra-diégétiques (coupures de journaux, citations) et leur pouvoir d’envoûtement en est d’autant plus grand. [JLT]
- Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 48-50.
Références
- Potvin, Claudine, Lettres québécoises 76, p. 32.
- Vigneault, Benny, Québec français 95, p. 13.