À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Catherine Rhymer, professeure universitaire en littérature, enseigne au Collège de l’Enclave francophone de Montréal. Dans cet univers, il ne reste du Canada français qu’un secteur circonscrit dans la métropole, un quartier marginal à Quebec-City et le mystérieux Royaume des Sags, dont il vaut mieux ne pas parler.
En route pour son travail, Catherine a une vision où elle croit voir des ruines en pleine ville. Cette hallucination est si claire qu’elle ne parvient pas, au début, à la distinguer du monde réel. C’est en tentant d’y retourner, plus tard, qu’elle découvre qu’il ne s’agit que d’une vision et que de telles visions sont considérées comme normales par tout le monde, sauf elle.
Au fur et à mesure qu’avance sa journée, des éléments de son univers lui semblent inexacts : elle a l’impression que la Seconde Guerre mondiale n’aurait pas dû se terminer en 1951, ne reconnaît pas le dictateur Mevdéïev qui fut un allié d’Hitler et ressent un fort sentiment d’étrangeté en voyant, dans une scène de la Nativité, la jumelle Lilith, sœur de Jésus.
Après avoir fait la rencontre de Joanna Nasiwi, agente des Sags, Catherine voit son univers lui sembler de plus en plus étrange au fur et à mesure qu’elle s’éloigne de l’Enclave. À Quebec-City, elle est déstabilisée en se « souvenant » du refroidissement global qui affecte la planète depuis quelques siècles ou que les femmes peuvent entrer en sacerdoce. Des pans gigantesques du monde dans lequel elle vit lui échappent, comme l’Histoire, la religion, la politique ou les sciences alors qu’elle-même semble avoir des notions étrangères au reste des gens – par exemple, sa médico-psy ignore l’existence de la psychanalyse, de Freud et de ses partisans… et elle est convaincue que la planète Terre devrait avoir un satellite naturel nommé Lune, alors que ce n’est pas le cas !
Se sentant de plus en plus détachée de ce monde – elle y pense en se disant « c’est comme ça, ici… » –, elle est assaillie de rêves et de visions qui semblent venir d’un autre monde, ou d’un autre temps. Elle trouve en elle des souvenirs à propos de mystérieux « Voyageurs » qui passeraient d’un univers alternatif à l’autre.
Croyant s’être fait mettre des implants cérébraux à son insu, Catherine fait appel à Joanna Nasiwi, qui se chargera de la faire passer dans les terres du Saguenay où on la soupçonnera d’être l’Enfant Ultime, annoncé par la religion locale. Après avoir passé un moment parmi les Sags, dans une région où l’électricité ne fonctionne pas et où l’on fait appel à la mystérieuse « énergie de la Divinité Endormie », Catherine décide d’entreprendre un pèlerinage vers le nord, où elle découvrira la vérité sur sa propre nature et sur le monde dans lequel elle vit.
Autres parutions
Commentaires
On tient ici une grande œuvre qui ne saurait être comparée à aucun autre roman québécois, si ce n’est à d’autres œuvres de Vonarburg. Tous les thèmes chers à la Grande Dame sont présents dans ce récit : univers alternatifs, religion gémellaire, énergies mystérieuses (pensons à la Mer de Tyranaël ou aux sphères de Reine de Mémoire), égalité des sexes. L’intrigue est montée avec un art consommé et les multiples éléments de ce Québec « autre » sont révélés avec beaucoup de maîtrise par des moyens variés (consultations de références, discussions, rêves).
L’intrigue elle-même est pourtant assez simple. Réduite à sa plus simple expression, il s’agit d’un classique de la littérature d’imaginaire, celui de l’amnésique en quête de ses souvenirs. Pourtant, Les Voyageurs malgré eux sont infiniment plus que cela. Il s’agit de l’exploration d’une autre société, d’une constante remise en doute de la réalité et surtout, d’une émouvante allégorie du déracinement (ou de la « transplantation ») de l’immigrant. Sans faire de liens boiteux entre l’écrivaine et son personnage (et cela, malgré l’enfance des deux à Sergines ou leur passage de la France au Québec avec un époux dont elles se sépareront éventuellement), on découvre dans le roman une description à la fois subtile et précise de la perte des points de repère sociaux lors d’une immigration ainsi que la quête de l’immigré pour sa place dans ce nouvel univers.
L’aspect uchronique du roman, plus présent dans la première partie, est élaboré avec une admirable richesse de détails. Dès les premières pages, on parle de Nelligan en lui donnant le prénom d’Eugène plutôt que d’Émile ; les événements de Mai 68 deviennent ceux de Mai 76, le Château Frontenac est astucieusement renommé Château Pitt, on découvre une Louisiane francophone forte et la présence d’une Fédération Amérindienne. Tous ces éléments, et une multitude d’autres, sont intégrés à la trame narrative avec tant de subtilité que le lecteur ne se sent jamais coincé dans une « conférence explicative sur l’univers fictif » – l’intrigue se déroule en offrant les informations sans les imposer.
Le roman est également écrit avec une technique permettant deux niveaux de lecture : le premier en lisant le roman seul, le second en lisant après le cycle de nouvelles du Pont de Vonarburg. Dans le premier cas, le roman déstabilise le lecteur à la manière des grandes œuvres de P. K. Dick ; dans le second cas, le lecteur trouvera très vite une cohérence au roman grâce aux indices disséminés au fil du récit et cela, dès les premières pages où il est question d’une Catherine aux perceptions augmentées. Les éléments uchroniques, la race des Marrus, le personnage d’Egon et plusieurs autres détails allument le lecteur familier avec le cycle du Pont et lui offrent un second degré de compréhension. L’écrivaine cite d’ailleurs les nouvelles de ce cycle juste avant le prologue en précisant que les liens entre celles-ci et le roman sont volontaires.
Reste que la fin, totalement inattendue, a de quoi surprendre et déstabilisera forcément plus d’un lecteur. Il s’agit de ces conclusions où certains crient au génie alors que d’autres froncent les sourcils. Sans prétendre que « ceux qui n’aimeront pas n’auront pas compris », comme cela arrive souvent devant une fin qui force à réfléchir, il est vrai que l’écrivaine a fait le pari de faire confiance à l’intelligence du lecteur, lequel peut fort bien comprendre et ne pas apprécier… ou rester dans le brouillard et s’enthousiasmer du prodigieux voyage qu’il vient de faire, un peu malgré lui. [SC]
- Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 200-203.
Références
- Bouffard, Yannick, Lectures, vol. 1, n˚ 7, p. 12-13.
- Desjardins, Martine, Qui, 04-02-1994, p. 60.
- Lamontagne, Michel, Solaris 109, p. 33.
- Marcotte, Denis, Temps Tôt 30, p. 40-41.
- Marcotte, Denis, imagine… 73, p. 89-90.
- Martin, François, Solaris 171, p. 150-151.
- Serruys, Nicholas, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IX, p. 874-876.
- Tondellier, Michel, Maelström 1.