Au XIXe siècle, rares sont les écrivains qui ont produit une œuvre abondante. Joseph-Charles Taché appartient à ce groupe restreint avec une production de vingt-quatre contes, dont le tiers appartient au corpus fantastique. Mais son importance vient surtout du fait qu’il participe avec enthousiasme au mouvement littéraire amorcé en 1860 et qui consiste en une vaste récupération du patrimoine folklorique. Pour ce faire, Taché se tourne vers les bûcherons et les aventuriers, contrairement à Pamphile LeMay qui valorise les travailleurs des champs et les paysans, pour jeter les bases d’une littérature nationale authentique.

Cette volonté s’incarne dans le recueil Forestiers et Voyageurs paru en 1884, qui regroupe des contes publiés au cours des années 1860 dans les volumes I et III des Soirées canadiennes. Aux yeux de Taché en effet, « le voyageur est un type à la stature héroïque tant par ses qualités physiques que par son adresse, son esprit d’initiative et son goût de l’aventure[1] ».

Quoique conservateur et ultramontain, Joseph-Charles Taché affiche dans ce choix sociologique une audace étonnante, car le personnage du voyageur traîne avec lui une réputation douteuse : résolument blasphémateur et buveur, libre de toutes attaches, nouant des relations illicites avec les Amérindiennes. Bref, tout ce que le clergé réprouvait en faisant la promotion des valeurs « terriennes ».

Le pari de Taché lui permet de mettre en scène un conteur qui rapporte les hauts faits des voyageurs et forestiers, le père Michel. Grâce à lui, Taché fait le lien entre la tradition orale et le conte littéraire, ce qui assure à ses récits une authenticité véritable tout en leur donnant les attributs d’un objet culturel.

L’ouverture d’esprit de l’auteur n’est jamais aussi manifeste que dans le conte « Le Grand-Lièvre et la Grande-Tortue », qui puise dans la mythologie amérindienne. Taché se garde bien de porter un jugement de valeur sur les croyances qui y sont exposées et n’oppose nullement la cosmogonie des Autochtones à celle des Blancs, le point de vue étant exclusivement amérindien. Ce faisant, il se montre respectueux de la culture des Ojiboués en utilisant plusieurs mots de leur langue et en faisant abstraction de son bagage culturel et de son éducation catholique.

Les préoccupations morales et les convictions religieuses de Taché ne sont pas pour autant absentes des autres contes dans lesquels cohabitent les deux univers culturels, mais l’auteur sait faire montre de modération, au contraire d’un Firmin Picard qui dépeint l’Autre, l’étranger – les Anglais, les Amérindiens – avec une haine viscérale.

Il faut savoir gré à Joseph-Charles Taché d’avoir fait entrer le personnage de l’Amérindien dans l’imaginaire collectif québécois et d’avoir ouvert la voie à des conteurs comme Pamphile LeMay et Louis Fréchette, qui utilisera lui aussi un conteur, Jos Violon, pour sauver de l’oubli les histoires de chantier, l’un des creusets de la littérature nationale naissante.


[1] Lemire, Maurice, Présentation de Forestiers et Voyageurs, Montréal, Éditions Fides (Bibliothèque québécoise), 1981, p. 7. 

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