Au moment où paraît La Fin de la Terre, la société québécoise vit à l’heure de l’agriculturisme et de la colonisation de l’Abitibi. Les romans du terroir encouragent ce mouvement migratoire et louent la détermination et le courage des défricheurs.
Le roman d’Emmanuel Desrosiers n’a cependant rien à voir avec L’Abatis de Mgr Félix-Antoine Savard. Il s’agit plutôt d’une œuvre de science-fiction – la première de sa lignée, les quelques romans qui l’ont précédée étant davantage des récits d’anticipation –, le mot « Terre » étant pris au sens de planète. Il y a lieu de se demander, d’ailleurs, si l’auteur n’a pas joué sciemment sur cette ambiguïté au moment de choisir son titre afin de subvertir le paradigme littéraire du temps.
Peu importe ses intentions, Desrosiers accouche d’un véritable roman de science-fiction dont l’action se déroule au seuil du XXVe siècle. La Terre est devenue une planète agonisante que ses habitants doivent évacuer s’ils veulent survivre. La solution passe par la construction d’une colonne d’air, alimentée d’ondes de Hertz, qui servira de pont entre la Terre et Mars. Des aérobus pouvant transporter chacun 6000 passagers emprunteront cette colonne d’air générée par l’énergie électrique en provenance des chutes Niagara. Voilà pour l’histoire.
En 1931 donc, l’énergie électrique s’inscrit déjà dans l’imaginaire d’un auteur québécois en tant que ressource apte à assurer non seulement l’avenir d’un peuple, mais carrément la survie de la civilisation blanche occidentale. Là s’affichent toutefois les limites de la fraternité universelle dont fait preuve Desrosiers, car la capacité de transport des aérobus fait que les masses jaunes seront laissées en rade.
Dans La Fin de la Terre, l’auteur recourt abondamment au discours scientifique pour rendre crédible et vraisemblable la description de phénomènes naturels : transformation de la croûte terrestre, raz-de-marée, éruptions de volcans. Il se livre en passant à une véritable glorification de l’esprit d’invention de l’Homme. Faut-il s’étonner que tous les personnages soient des scientifiques ? Froids, impassibles et cérébraux, ils n’ont aucune épaisseur psychologique et servent avant tout à énoncer des théories scientifiques. Seul Gustav Ohms, biologiste qui sombre pathétiquement dans la folie, montre une certaine humanité. Qui plus est, la moitié du genre humain est absente, aucun personnage féminin n’étant sorti de la plume de Desrosiers.
Fervent défenseur de la langue française, l’auteur nous épargne heureusement le prosélytisme religieux qui va de pair avec les réflexions moralisatrices. C’est que son œuvre transcende les identités nationales – mais non les races – et qu’elle se veut rassembleuse et universelle.
Ouvrage rare sur le marché du livre usagé, La Fin de la Terre contient des illustrations d’un Jean-Paul Lemieux dans la vingtaine qui, davantage que la qualité romanesque de l’œuvre de Desrosiers, contribuent à la valeur marchande du livre.