Michel Tremblay

Est-ce que le visage du fantastique au Québec serait différent aujourd’hui si Michel Tremblay, plutôt que de connaître le succès que l’on sait avec sa mythique pièce Les Belles-Sœurs, avait persisté dans la voie empruntée avec Contes pour buveurs attardés et La Cité dans l’œuf ? On peut certainement le présumer, à condition que ses écrits subséquents aient évolué vers une écriture plus personnelle.

Les deux premières œuvres publiées de Michel Tremblay portent en effet des influences très marquées, contrairement à son théâtre naissant. Contes pour buveurs attardés est un recueil de textes d’horreur, de contes fantastiques et macabres inspirés des univers tourmentés d’Edgar Allan Poe et de H. P. Lovecraft, tandis que La Cité dans l’œuf affiche une parenté évidente avec le Malpertuis de Jean Ray.

Pour le jeune Tremblay, le fantastique est un mode d’expression qui traduit son mal-être mais, surtout, une planche de salut pour fuir la banalité du quotidien du Plateau Mont-Royal. Ironiquement, c’est ce même milieu social qui assurera à son œuvre dramatique et romanesque une authenticité et une singularité qui établiront sa réputation mondiale, ce qui prouve encore une fois que, pour être universelle, une œuvre doit d’abord s’ancrer dans un environnement local.

En 2006, Michel Tremblay retrouvait dans Le Trou dans le mur le personnage de François Laplante, le narrateur de La Cité dans l’œuf, récit de querelles intestines que se livrent des dieux et des demi-dieux, mais en utilisant cette fois la Main et quelques personnages de la constellation théâtrale comme point d’ancrage à un récit fantastique par sa proposition de départ. Tremblay a bien assimilé la leçon et n’a pas commis la même erreur qu’à ses débuts en littérature quand, par souci de s’affranchir du courant réaliste omniprésent dans les lettres québécoises, il s’était coupé de ce qui allait nourrir sa personnalité d’écrivain en rejoignant une autre tradition romanesque chargée d’icônes.

Les Chroniques du Plateau Mont-Royal rappellent le goût de Tremblay pour le fantastique. Ces traces prennent différentes formes : la présence des trois sœurs tricoteuses, Rose, Violette et Mauve, qui représentent les Parques, le chat Duplessis, les contes que racontent Josaphat-le-Violon au petit Marcel… Ces éclairs qui surgissent çà et là dans le récit n’ont rien de commun avec les dispositifs énormes et les procédés littéraires mis en œuvre dans les deux premiers livres pour enfiévrer l’imagination du lecteur.

Doit-on regretter la bifurcation de l’écriture de Tremblay vers le réalisme ? Aurait-il pu être l’instigateur d’un courant littéraire de la même façon que son théâtre a changé la dramaturgie québécoise ? Autant de questions qui appellent des réponses aussi diverses que contradictoires, sans doute.