Son territoire, c’est la nouvelle littéraire, fantastique ou réaliste, c’est selon. Il a même fondé une maison d’édition, L’instant même, pour défendre ce « petit genre ». Avec les années, Gilles Pellerin est devenu une figure incontournable de la vie culturelle à Québec en raison des nombreux chapeaux qu’il a portés : éditeur, écrivain, professeur de littérature, directeur artistique du festival de littérature Québec en toutes lettres en 2010.

Au-delà de toutes ses occupations, Gilles Pellerin est avant tout un lecteur et c’est ce lecteur qui a formé l’écrivain qu’il est devenu. Pellerin pratique l’intertextualité – qui, chez certains écrivains, n’est que l’expression d’un snobisme agaçant – comme levier pour débusquer le sens tapi derrière la réalité. Chez lui, le fantastique dévoile la réalité se cachant derrière les apparences, une réalité à l’état pur dégagée de l’abondance des signes qui peuvent brouiller la lecture du réel. Le fantastique amène le protagoniste à prendre conscience de son état dans un moment d’illumination.

Dans le titre même de son premier recueil, Les Sporadiques Aventures de Guillaume Untel, Pellerin énonce son projet littéraire : traiter de la condition humaine en parlant des anonymes. Le recueil présente trois façons d’appréhender cet état : le réalisme, le fantastique et l’absurde. Si les nouvelles réalistes ont pour thème le travail, le fantastique se construit à partir d’une situation banale de la vie quotidienne telle que monter à bord d’un autobus. L’auteur infléchit alors la trajectoire existentielle de son protagoniste en le projetant dans une faille du temps. C’est « L’Embarquement pour Cythère ».

Chez Gilles Pellerin, le fantastique est d’abord une expérience esthétique et cérébrale qui génère certes un malaise, mais non la peur ou l’angoisse. L’ébranlement de la routine et du prévisible induit une réflexion sur le réel et sa représentation qui est au cœur de toute démarche artistique. Quel est le sens de l’art, sa valeur ? Parfois, le monde de la représentation est plus vrai que la vraie vie. La frontière entre le réel et le figuré est abolie, ainsi que le montrent les nouvelles « Salomé » et « Ce soir à l’opéra ». Ou encore, le rêve contamine la réalité, comme l’illustrent plusieurs nouvelles dans lesquelles se lit l’influence du réalisme magique, courant littéraire pratiqué par des auteurs latino-américains tels que Julio Cortázar et Adolfo Bioy Casares.

Au fil d’une œuvre nouvellistique imposante, Gilles Pellerin tisse un riche réseau de références littéraires et culturelles. Il y déploie une érudition jamais gratuite, qui sert de fondement à un fantastique opérant davantage comme un jeu pour intellectuel qu’en tant que moyen de transgression du réel. Amoureux du livre et de la littérature, Gilles Pellerin utilise avec brio la figure de la métonymie, dans « Progrès de la matière », pour rappeler que le texte ne change pas, que c’est plutôt le lecteur qui n’est plus tout à fait le même à chaque lecture.

Pour soutenir ces constructions intellectuelles qui ne sont pas incompatibles avec un véritable plaisir de lecture, Gilles Pellerin dispose d’outils à la hauteur de ses ambitions. Véritable orfèvre de l’écriture, il trouve toujours le style qui convient au sujet qu’il traite. Pour décrire un tableau de Gustave Moreau, il utilisera une écriture recherchée, lyrique et sensuelle. Pour évoquer l’art du miniaturiste, sa prose se fera précise, sèche, extrêmement détaillée. Pour traduire la manière de l’écrivain Giovanni Papini dans « Deux images dans une vasque », il empruntera un style suranné, plein de circonvolutions. Dans « East Glouster, Mass. », rare incursion dans le fantastique canonique au cours de laquelle il explore la figure du vampire, il met en opposition deux classes sociales, deux cultures, par la seule force d’une écriture adaptée à chaque groupe social. Cette nouvelle, une des meilleures de sa production qui compte sa part de réussites, ajoute une dimension sociologique au thème du vampire tout en rendant compte de la maîtrise de son écriture et de la polyvalence de son style.

L’œuvre de Gilles Pellerin est vaste et multiple. Il serait réducteur de la confiner à sa seule expression fantastique tant elle apparaît, dans sa globalité, comme des fragments d’essais sur la littérature en particulier, et l’art en général, dans lesquels la tentation de l’autobiographie se manifeste à l’occasion. Le recueil Ni le lieu ni l’heure constitue une magistrale illustration de la sensibilité et du talent de l’auteur.

Si l’écrivain a un père spirituel québécois, c’est du côté de l’auteur de La Mort exquise qu’il faut regarder. Ce n’est pas un hasard si l’éditeur a remis le recueil de Claude Mathieu en circulation en 1989, vingt-quatre ans après sa première édition.

Œuvres

Auteur/autrice