Quel visage auraient les littératures de l’imaginaire si Jean Pettigrew n’avait fondé les Éditions Alire en 1996 ? Il serait assurément différent, car la qualité du catalogue de sa maison, tout en témoignant de l’expertise de l’éditeur, contribue grandement à la reconnaissance de la littérature de genres dans l’institution littéraire et le monde de l’édition. Comme si cela n’était pas suffisant, Pettigrew a aussi été directeur littéraire chez Québec Amérique, où il a lancé la collection Sextant spécialisée dans les genres. Convaincu depuis toujours que les romans de science-fiction et de fantastique écrits par des auteurs québécois pouvaient connaître le succès en librairie à condition que leur prix soit comparable à celui des titres étrangers disponibles en format poche, il a validé sa théorie en publiant des œuvres originales directement en format poche à des prix très compétitifs. Règle commerciale qui a fait par la suite le succès des Éditions Alire.

Au commencement étaient toutefois les Éditions Le Passeur, qu’il a mises sur pied en 1984 pour donner une vitrine à la production québécoise de science-fiction et de fantastique. Ainsi est née L’Année de la science-fiction et du fantastique québécois, ouvrage de référence qui établit et commente le corpus (romans et nouvelles) de la littérature de genres et collige les activités du milieu (congrès, prix, revues et fanzines, etc.).

Toutes ces initiatives, auxquelles s’ajoutent des collaborations à diverses revues en tant que critique littéraire, suffiraient déjà à faire de Jean Pettigrew un personnage mythique, un indispensable architecte de carrières littéraires, voire le principal accoucheur de la littérature de genres au Québec. Cela serait conforme à sa légende.

Or, en plus d’être un éditeur qui a du flair pour repérer les talents et qui possède une vaste connaissance des genres qu’il publie, Jean Pettigrew est un écrivain. « Ah bon ! » penseront ses collègues éditeurs. Combien de livres a-t-il écrit, déjà ? Aucun roman, aucun recueil, mais des nouvelles en abondance, près d’une cinquantaine, livrées presque sans interruption depuis 1981. Suffisamment de bons textes pour composer un fort recueil, mais l’homme est ainsi : il ne recherche pas l’attention médiatique que pourrait lui valoir la publication, sous forme de livre, d’une compilation de quarante ans d’écriture et il est trop modeste pour se servir de sa maison d’édition à des fins personnelles.

Son engagement total comme éditeur depuis son passage chez Québec Amérique a certainement contribué à mettre en veilleuse ses ambitions d’écrivain, mais les conséquences de ce choix se mesurent en quantité plutôt qu’en qualité. Bien que ses nouvelles se répartissent presque également entre science-fiction et fantastique, ce sont les premières qui marquent davantage, me semble-t-il, l’imagination. On ne saurait toutefois enfermer Jean Pettigrew dans un seul genre, car il est un écrivain caméléon qui a épousé tous les styles d’écriture : cyberpunk (« Chausse-trappes à l’Holozone » et « Naissance de la 4e Tofurologie »), autofiction et fantastique lovecraftien (« Des nouvelles du Deuxième Monde »), romance galactique (« La Vallée des montgolfières »), hard science (« Biographie sommaire d’un émetteur-récepteur »), horreur (« Pauvre Jack ! »), sans oublier le polar.

La pratique de ces divers styles débouche souvent sur une hybridation des genres, Pettigrew mariant par exemple horreur, science-fiction et humour dans « Passez donc par l’entrée de service ! » ou polar et science-fiction dans « L’Étrange Cas de Nef Matunale ». Un humour référentiel basé sur l’exploitation des poncifs du genre dont il pimente la plupart de ses textes et qui fait office de mortier dans la construction de son œuvre. « Naissance de la 4e Tofurologie » constitue un bel exemple de l’humour de Pettigrew alors qu’il invente une science et son champ d’application, la tofurologie, pour se moquer de la futurologie.

Si le vocabulaire et le ton des nouvelles varient selon le sujet, il est un thème qui revient périodiquement dans ses textes : l’amour. On ne s’en douterait pas, mais Jean Pettigrew est un sentimental. Comme le dit Célémie dans « Le Passage de la cascadeuse » : « L’amour est le passage. » Ce pourrait être à la fois le sésame de son œuvre et ce qui lui confère un poids tragique, comme dans le magnifique et poignant « Les Hommes-snoopy meurent tous comme les chèvres du Bengale ». L’amour est de passage, il est éphémère parce que contrarié par divers obstacles : des divergences idéologiques chez le couple dans « La Vallée des montgolfières », la pathologie dans « Pauvre Jack ! » qui évoque le souvenir de Jack l’Éventreur, le temps dans « Amours d’un jour », l’usure ou l’incompréhension. L’amour, encore plus que l’art, est nécessaire pour rendre acceptable l’existence. Cette conclusion est implicitement formulée dans « Derrière les barreaux », qui concrétise admirablement l’image de l’éternel féminin échappant à ses personnages dans une quête qui, ici, est à la fois artistique et amoureuse.

Au fond, ce sont peut-être ses attributs d’écrivain caméléon qui font de Jean Pettigrew un éditeur aussi compétent et un directeur littéraire capable d’empathie envers les auteurs qu’il accepte de prendre sous son aile pour en tirer le meilleur d’eux-mêmes.

 

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