Yves Meynard est l’écrivain le plus brillant de sa génération, le plus original. Il n’y a pas un auteur au Québec – et cela inclut tous les écrivains du « mainstream » – dont l’imaginaire soit aussi foisonnant que le sien et qui démontre une telle capacité de se renouveler d’un texte à l’autre. Souvent, les auteurs de l’imaginaire inventent un univers qui leur est propre et y puisent fréquemment par la suite. Pas Yves Meynard ! En outre, les thèmes qu’il aborde imposent le genre plutôt que l’inverse, si bien qu’il arpente la fantasy tout autant que le fantastique ou la science-fiction, même si son nom est surtout associé à cette dernière.

Pour prendre la mesure de son talent et de la diversité de son imaginaire, il faut aborder son œuvre par les nouvelles, plus d’une quarantaine en tout, dont une partie est accessible dans deux recueils : La Rose du désert et L’Enfant des Mondes Assoupis. Non pas que ses romans pour jeunes et Le Livre des Chevaliersne soient pas intéressants et de qualité supérieure, mais chaque nouvelle nous transporte dans un univers différent, souvent déroutant, voire inconcevable. Il repousse constamment les limites de l’imagination. Même quand il écrit pour les jeunes, Meynard ne fait aucun compromis. Ne sous-estimant jamais le lecteur, il s’adresse d’abord à son intelligence, de sorte que les adultes peuvent apprécier ses romans tout autant que les jeunes.

L’œuvre d’Yves Meynard – du moins dans ses composantes les plus percutantes et les plus originales – est traversée par une constante réflexion sur la science, celle-ci étant pratiquement indissociable du destin du protagoniste. Avant-gardiste ou obsolète, la science structure le mode de vie ou de pensée de ses personnages. En tant que vecteur de transformation, elle offre à l’être humain la possibilité de vivre des expériences artistiques insoupçonnées (« Le Réalisateur », « Antarctica », « Une princesse de Serendip ») ou de s’adapter à de nouvelles conditions de vie. Obsolète, elle devient une source de magie parce qu’elle fait référence à un savoir technologique qui s’est perdu au fil du temps par suite du déclin des sociétés (Un œuf d’acier). 

C’est généralement cette représentation de la science devenue symbole d’un passé glorieux révolu plutôt que la science moteur de progrès qui l’emporte dans l’œuvre d’Yves Meynard. La rupture qui intervient dans le rapport de l’homme à la science a des conséquences très graves sur l’intégrité ontologique des personnages. Dans « La Rose du désert », qui compte parmi ses meilleures nouvelles, la science en vient à faire oublier l’existence même du sexe féminin tout comme elle a entraîné, dans « Nausicaä », l’élimination de la fonction reproductive de la femme. La masculinité, associée à la folie meurtrière des hommes programmés pour la guerre, est ici clouée au pilori par l’auteur, qui revendique clairement, comme dans plusieurs textes, une pensée féministe.

Sous sa forme dévaluée, la science s’apparente aussi à la religion – ce qui en fait, de facto, une variante de la magie –, autre thème souvent abordé par Meynard. La religion fait appel à la foi, aux croyances, qu’il est impossible de valider par une analyse rationnelle dès lors qu’il s’agit avant tout d’une vue de l’esprit irrationnelle et subjective, sinon d’une chimère (« De l’obstétrique des chimères », un de ses tout premiers textes).

Le protagoniste type de Meynard est cet individu qui n’est qu’une petite partie d’un tout, d’une collectivité dans laquelle il doit se fondre car cela est inscrit dans ses gènes. Le destin du héros de Meynard est de chercher à échapper à sa condition. Son œuvre est marquée par cette tension entre les aspirations individuelles – la liberté de disposer de sa vie – et les atavismes collectifs, qu’ils soient introduits technologiquement dans le cerveau de l’humain ou le fruit de traditions ancestrales. Quoi qu’il en soit, l’homme – ou l’organisme vivant, la créature mi-homme mi-machine – apparaît irrémédiablement conditionné et voué à suivre son destin. Le texte qui incarne de la façon la plus remarquable le poids de ce conditionnement est sans doute « Les Hommes-écailles », une nouvelle dotée d’un souffle renversant et d’un sens admirable de la spiritualité.

C’est par elle que le protagoniste de Meynard parvient à assumer sa condition au terme d’un combat intérieur déchirant. Ce cheminement n’est pas sans faire écho à la philosophie existentielle des personnages d’Esther Rochon à qui l’auteur rend hommage par l’entremise de Pallas dans la nouvelle « Convoyeur d’âmes », un titre véritablement rochonnien. Cette communauté d’esprit est également apparente dans « Ariakin », Meynard y dénonçant l’orgueil et la vanité des hommes qui affichent ostensiblement leur piété. En dénaturant l’architecture de leur ville par des décorations statuaires trop appuyées, ces croyants rendent compte d’une religion qui accumule les possessions matérielles et s’éloigne de ses principes originels. 

Les symboles religieux abondent dans l’œuvre d’Yves Meynard, mais jamais autant que dans « L’Enfant des Mondes Assoupis ». Le mysticisme teinte la quête d’identité du Prince, dont le parcours rappelle le passage du Christ sur la Terre. En même temps, cette nouvelle est une traversée du miroir, mais dans le sens inverse du trajet de l’héroïne de Lewis Carroll, le Prince enfant quittant un univers de contes de fées (les Mondes Assoupis) pour une Terre dévastée.

Si Yves Meynard a été formé par les maîtres de la SF étatsunienne, en particulier Jack Vance et Gene Wolfe qu’il admire, il a aussi été influencé par des écrivains québécois. Outre Esther Rochon, on peut mentionner Élisabeth Vonarburg pour la sensibilité féministe. Par ailleurs, Un œuf d’acier, par la médiation sans doute de Gene Wolfe, fait écho à L’Oiseau de feu de Jacques Brossard. Plusieurs similitudes ou correspondances peuvent être relevées : la présence de ces tours au centre de la Cité, le Reconditionnement des dissidents, la rivalité entre les tours qui rappelle celle des quartiers de Manokhsor (chez Brossard), un héros solitaire qui veut échapper à sa condition modeste.

Cela démontre en fait une chose : Yves Meynard ne manque pas de confiance en lui-même et ne craint pas de perdre son identité en côtoyant des œuvres marquantes ou des personnalités fortes. Cette ouverture d’esprit et cette générosité l’ont amené à écrire plusieurs textes à quatre mains, la collaboration la plus assidue et la plus fructueuse étant celle qui a donné naissance à Laurent McAllister. Sous ce nom, il a poussé plus loin l’expérimentation dans la voie de la hard SF en compagnie de son complice Jean-Louis Trudel. Faut-il s’étonner de cette radicalisation de la narration venant de deux esprits scientifiques ? Quand un ingénieur en systèmes informatiques rencontre un astrophysicien…

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