À vingt-trois ans, Michel Bélil s’en va enseigner le français aux militaires de la base de Gander, à Terre-Neuve. Cette année terre-neuvienne, suivie d’un séjour d’un an à Halifax pour les mêmes raisons, aura un effet déterminant sur l’imaginaire de l’écrivain et l’engagera définitivement dans la voie du fantastique.

Son premier livre, un recueil de nouvelles intitulé Le Mangeur de livres et sous-titré Contes terre-neuviens, paraît quelques années plus tard, soit en 1978. L’isolement et le choc culturel que Bélil a vécus, particulièrement à Terre-Neuve, imprègnent grandement ce livre. Bélil s’inspire des légendes locales pour composer un recueil qui se présente comme le compendium d’un monde étrange, exotique parce que nettement différent du décor québécois dépeint par nos conteurs traditionnels, où le brouillard ajoute au mystère et « brouille » les pistes, pourrait-on dire. Car bien malin celui qui pourrait démêler le vrai du faux dans ces histoires insulaires colligées par le narrateur. De même, « A beau mentir qui vient de loin. »

Si l’on ajoute les jeux de mots et les pointes d’humour qui viennent périodiquement alléger le climat d’angoisse et rendre supportable l’horreur, on a là ce qui caractérise le fantastique de Michel Bélil. Ce mélange d’angoisse et d’humour représente d’ailleurs, selon certains théoriciens, dont Georges Desmeules qui en a fait son sujet de mémoire de maîtrise1 puis un essai2, l’un des traits constitutifs du fantastique. À cet égard, Michel Bélil est certainement le principal représentant de ce courant, lui qui a d’abord affûté sa plume dans le fanzine Requiem.

Un autre aspect de son œuvre est sa prédilection pour les textes courts, dont il s’est fait une spécialité, car il est l’un des rares écrivains à avoir pratiqué fréquemment ce genre difficile – plus c’est court, plus c’est ardu. On trouve un exemple de ces fictions d’une ou deux pages dans son recueil Déménagement qui compte vingt-quatre textes répartis sur soixante-seize pages.

À partir de là, Bélil délaisse quelque peu cette veine fantastique pour explorer la science-fiction, ce dont témoigne Greenwich, paru en 1981. Ce roman hybride, dans lequel le personnage éponyme vieillit en accéléré, se situe par son thème et son traitement dans la tradition fantastique, mais l’épisode des sauterelles mutantes qui assiègent la ville de Boston, au cœur de la deuxième partie, rend compte de la transformation de l’imaginaire de l’auteur.

Il n’est pas inutile de rappeler que Michel Bélil se joint en 1980 à l’équipe d’imagine…, une revue davantage axée sur la science-fiction que sur le fantastique, à l’image des personnalités fortes qui forment le noyau du collectif : Jean-Pierre April, Esther Rochon, Jean-Marc Gouanvic. Il écrit quelques textes expérimentaux (« La Dernière Personnage ») mais ne trouve pas véritablement sa voie, on le sent. C’est que l’humour dont il pimente ses textes de science-fiction dessert la véracité de l’univers qu’il tente de mettre en place, d’autant plus qu’il ne brille pas particulièrement par son originalité dans ce genre, à quelques exceptions près, notamment la nouvelle « Travailleur de nuit : spectateur ». Mais encore là, la notion d’altérité n’est pas très développée et, en matière de science-fiction humoristique, François Barcelo est déjà passé par là en exploitant à fond la satire et le burlesque et en faisant preuve d’un souffle certain.

Avec une centaine de nouvelles publiées sur une période de vingt ans et dont les deux tiers relèvent du fantastique, Michel Bélil occupe certes une place de choix au panthéon des praticiens du genre fantastique au Québec. Et c’est sans parler de sa longue collaboration au collectif d’imagine… et de sa participation à la création de la Corporation du Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois qui consolident sa contribution majeure à ces genres dans l’histoire littéraire du Québec. Toutefois, son dernier texte datant de 1997 et compte tenu de la voix originale qui se manifestait dans son premier recueil, on ne peut s’empêcher de penser qu’il n’a pas réalisé son plein potentiel de fantastiqueur.

Après une éclipse d'une vingtaine d'années, il est revenu à l'écriture avec une série de romans intitulée Les Cinq saisons de L'Avenir, un mélange de polar et de science-fiction dans lequel, fidèle à lui-même, l'humour tient toujours une place prépondérante. 


1 Desmeules, Georges, Humour et Fantastique : Le Cas du Mangeur de livres de Michel Bélil, mémoire de maîtrise, Université Laval, 1989.

2 Desmeules, Georges, La Littérature fantastique et le spectre de l’humour, Québec, L’instant même, 1997, 204 pages.

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